Terre 531 – An de Grâce 1228
Charles et Jeremiah se comportaient comme une véritable famille bien avant que le registre ne les enregistre comme père et fils. Progressivement, Jeremiah s’installa dans la demeure, possédant sa propre chambre, des habits de rechange procurés par Charles et la possibilité d’aller et venir à toute heure du jour comme de la nuit. Mais rapidement, Jeremiah cessa ses excursions puisqu’il n’avait plus personne vers qui aller. Ses anciens compagnons de vagabondage étaient tous soit morts, soit le rejetaient, lui à qui la chance avait souri et qui était devenu une personne de la haute. Passant son temps au domaine, Charles s’occupa de lui autant que Jeremiah le lui permettait et en retour Jeremiah, pleinement satisfait de l’intérêt qu’on lui portait avec tant de bienveillance, buvait littéralement l’enseignement que Charles pouvait lui prodiguer. C’est ainsi qu’ils commencèrent par le b.a.-ba : savoir se présenter et se tenir. Intrigué par l’imposante bibliothèque richement garnie, Jeremiah exprima son intérêt pour ses livres. C’est ainsi que Charles lui apprit à lire et à écrire dans un langage châtié.
En 1230, cela faisait plusieurs mois que Jeremiah pressait son père adoptif de lui en dire plus sur son passé de chevalier et de croisé. C’est ainsi qu’au fur et à mesure, Charles lui conta ses expériences passées … du moins celles qui pouvaient être contées à un enfant de douze ans. Passant des heures dans la salle d’armes de son père, Jeremiah obtint de lui qu’il commence à lui enseigner à l’âge de quatorze ans le maniement des armes et l’art de la guerre. Charles lui apprit tout ce qu’il savait sur le combat à mains nues, le maniement des armes blanches, comme l’épée, le glaive, la hache, la masse d’armes, le fléau d’armes, mais aussi des armes d’hast, comme la lance ou l’hallebarde, ou encore les arcs et arbalètes. Avide de connaissance, Jeremiah fut un excellent élève. A l’âge de dix-sept ans, en 1235 donc, il devint un chevalier aguerri et lors des joutes amicales avec son père, il commença à remporter ses premières victoires … tout en continuant à recevoir quelques bonnes leçons de la part de Charles qui trouvait toujours le moyen de conserver une botte secrète en réserve. Mais les mois passant, cette réserve s’amenuisait comme du beurre au soleil.
Entre-temps, la sixième croisade avait pris fin en 1229 et la ville de Jérusalem était redevenue chrétienne … mais pour peu de temps. En effet, en 1244, le sultan d’Égypte Aiyûb reprit avec ses troupes la ville de Jérusalem à la discrétion de l’occident. En effet, à cette époque l’information ne circulait pas aussi rapidement qu’aujourd’hui.
C’est ainsi qu’en Décembre 1244, le roi de France Louis IX, gravement malade, souffrant d’une forte dysenterie, ignorait toujours que Jérusalem avait été reprise par les musulmans. A l’article de la mort, il promit de prendre la croix s’il se remettait de cette maladie. Quelques semaines plus tard, Louis IX s’en étant complètement remis, prit cela comme un miracle qui le renforça dans sa décision de partir en croisade.
Mais une telle entreprise ne se mettait pas en marche du jour en lendemain. C’est ainsi que dans les années qui suivirent les croisés envoyèrent les leurs aux quatre coins de France pour prêcher la bonne parole et enrôler le plus possible de soldats potentiels en mettant en avant les avantages tant matériels que spirituels que cela pouvait leur apporter de prendre la croix. Le frère du roi, Robert Ier d’Artois, participa à l’effort de guerre et comptait parmi ses soutiens l’ordre des Templiers. Ces derniers battirent la campagne pour rallier tous les leurs.
En plein été 1245, deux hommes en armures, portant des tuniques blanches qui arboraient des croix rouges arrivèrent au domaine d’Erébard.
Les deux hommes arrivèrent à cheval jusqu’au manoir. Tandis qu’ils descendaient, la porte s’ouvrit sur le majordome qui les avait entendus arriver. Les deux hommes s’avancèrent vers lui et ôtèrent leur casque rutilant.
« - Bien le bonjour ! Nous aimerions converser avec Charles d’Erébard, ton maître » dit aimablement le plus jeune des deux.
« - Mais bien sûr messieurs ! Attendez-le ici, je vais l’avertir de ce pas » répondit tout aussi aimablement le majordome, ne manquant pas de remarquer les croix rouges.
Il referma la porte et marqua un temps d’arrêt. Jeremiah vint le rejoindre pour savoir qui venait leur rendre visite.
« - Ah ! Monsieur Jeremiah ! Ces hommes sont là pour votre père … et je pense qu’il apprécierait d’avoir le soutien de sa galante » lui adressa-t-il en feignant un sourire forcé.
Jeremiah comprit de suite que la visite n’était pas amicale et courut chercher galante, l’épée fétiche de Charles tandis que le majordome monta à l’étage informer le maître des lieux.
A peine deux minutes plus tard, Charles et le majordome descendirent l’escalier faisant face à la porte d’entrée.
« - Es-tu sûr qu’ils ne sont pas de simples croisés ? » lui demanda à nouveau Charles.
« - Certain, monsieur ! Monsieur m’a appris à faire la distinction entre les croix des croisés et celles des templiers. Leurs croix sont pattées »
« - Bien ! »
C’est alors que Jeremiah arriva avec galante et la tendit à son père.
« - Dois-je aller m’armer également, père ? » demanda-t-il.
« - Que t’ai-je appris, Jeremiah ? Un homme doit … »
« - Un homme doit toujours faire ses propres choix seul ! »
« - C’est exact ! Ils ne sont que deux alors hormis si tu m’estimes trop rouillé, je saurais sûrement m’en dépêtrer seul » ajouta Charles avec un large sourire.
Il ne prit pas la peine d’attacher son fourreau à sa ceinture et sortit directement son épée dont il se servit comme une canne, la pointe en bas. Après quoi il s’avança et ouvrit la porte.
« - Qu’est-ce qui vous amène en mes terres ? »
Le plus âgé des deux s’avança et prit alors la parole.
« - Cela fait longtemps Charles ! Est-ce ainsi que tu accueilles un vieil ami frère d’armes ? »
« - En d’autres temps, je t’aurais sûrement accueilli autrement Henri. Mais il semblerait que la tempête couve et je ne suis pas dupe ! »
« - En effet, la septième croisade a été ordonnée. Tu nous as manqué lors de la sixième … et pas qu’à nous, à ton serment également. Celui de toujours servir le Temple ! »
« - J’ai suffisamment donné de mon temps au Temple ! » répondit sèchement Charles.
C’était la première fois que Jeremiah entendait son père adoptif parler sur ce ton.
« - Charles, on ne se retire du Temple que si le Grand Maître donne son accord, ou si l’on meurt … tu n’es dans aucun de ces cas-là ! »
« - Demandez au Grand Maître pour moi la permission de me retirer alors ! »
« - Cela ne va pas être possible. Cette croisade va avoir besoin de tous les hommes disponibles, on doit reprendre Jérusalem des mains des musulmans ! »
« - Dites-lui alors que je suis mort ! »
« - On ne ment pas au Grand Maître ! » intervint le plus jeune, manifestement nerveux et la main sur le pommeau de son épée.
« - Et on baisse d’un ton sur mon domaine, jeune freluquet ! »
« - A quoi bon perdre notre temps ici, maître Henri ! Voyez-le, il est déjà à l’article de la mort. Il ne nous sera plus d’aucune utilité ! »
« - Surveille tes propos, jeune homme ou tu goûteras de ma lame ! »
« - Je serais bien curieux de voir cela ! » répondit-il en dégainant son épée.
Charles prit la sienne à pleine main et avança sur les deux hommes, les forçant à s’éloigner de la porte, lui permettant ainsi d’être au même niveau qu’eux. Le jeune homme ouvrit le combat mais Charles le contra avant de lui asséner un contre sanglant.
« - Est-ce cela que tu enseignes à tes recrues, Henri ? En souvenir de l’ancien temps, je te laisse repartir ».
Le dénommé Henri ne demanda pas son reste. Il remonta à cheval et partit précipitamment.
Quelques mois plus tard, en plein hiver, Henri revint au domaine accompagné cette fois de neuf hommes, tous portant comme lui la croix des templiers.
« - Henri ! Combien de fois faudra-t-on qu’on te dise que la quantité ne surclasse pas la qualité ? »
« - Cela dépend de la quantité qu’on lui oppose, Charles. Tu as une dernière possibilité de nous rejoindre ».
« - Ne compte pas trop là-dessus. Les croisades sont injustes et barbares. Il y a trente ans, les prêtres catholiques l’avaient déjà compris en hébergeant les juifs que nos "frères" massacraient à tour de bras dans le midi. Je n’ai déjà vu que trop de sang couler … mais que cela ne vous empêche pas de vous en abreuver encore ! »
« - Pour qui nous prends-tu, Charles ? Les infidèles au Seigneur doivent être punis et la sentence est la mort ! Tous ceux qui osent le remettre en doute sont passibles de la même peine ! » proclama Henri en sortant son épée, imité par ses neuf compagnons.
Tous les dix se jetèrent sur Charles mais ce dernier ne posa pas un genou au sol avant d’en avoir abattu trois. Souffrant d’une profonde lacération dans le dos, Charles n’était plus en état de se battre. Henri fit alors un signe de tête à l’un de ses subordonnés pour l’achever. C’est alors qu’un carreau vint lui transpercer le crâne.
« - DÉGAGEZ DU DOMAINE OU JE VOUS ASSURE QUE JE VOUS TUE TOUS AUTANT QUE VOUS ÊTES ! » hurla Jeremiah tout en lâchant son arbalète et armant son arc en direction des six hommes à tour de rôle.
Henri jaugea la situation. Il sut qu’il pouvait retourner cette situation à son avantage. Il était venu recruter un combattant de talent et il pouvait repartir avec un autre.
« - Baisse cet arc, petit ! Nous sommes six, tu en abattras combien avant qu’on ne t’atteigne ? Avec de la chance, un … mais nous serons encore cinq ! Veux-tu disputer ton premier vrai combat à cinq contre un ? »
Jeremiah ne sut quoi répondre, ni comment réagir pendant quelques secondes.
« - Et si c’était vous que je tuais dans cet intervalle de temps ? » finit-il par dire en ciblant Henri.
« - Eh bien mes cinq compagnons te tueraient avant d’achever Charles. Est-ce ce que tu souhaites ? »
« - Non ! Tout ce que je veux c’est que vous débarrassiez le domaine de vos présences ! »
« - Il n’y a qu’une solution alors ! Joins-toi à nous ! »
« - Comment ? »
« - Charles a trahi son serment envers le Temple, mais tu peux rattraper sa faute si tu prends sa place ! »
Jeremiah détendit imperceptiblement son arc et se mit à cogiter. Malgré son assurance, il doutait de pouvoir venir à bout de ces six hommes sans qu’ils ne tuent son père. Ce dénommé Henri lui proposait une porte de sortie.
« - D’accord ! » finit-il par dire en détendant complètement son arc.
« - Biieen ! C’est un bon fils que tu as là, Charles ! Sois lui en reconnaissant ! »
Tandis que le majordome du domaine venait récupérer Charles, Jeremiah fut contraint de déposer toutes ses armes et de suivre les Templiers sur le champ. Le père et le fils eurent tout juste le temps de se dire un au revoir qui sonna plus comme un adieu.
Bien évidemment, Jeremiah n’obtint pas la pleine confiance des Templiers qui le mirent d’abord à l’épreuve pour voir de quel bois il était fait et surtout constater ses compétences martiales. Satisfaits, ils lui assignèrent un tuteur … plus un surveillant qu’autre chose. Répondant au nom d’Olivier, il était dans l’ordre depuis qu’il avait l’âge de tenir une arme et de s’en servir correctement et même s’il avait obtenu une confiance aveugle de la part de l’ordre, il n’était pas beaucoup plus âgé que Jeremiah. Apprenant à se connaître, les deux hommes comprirent que leurs parcours n’étaient pas si différents. A l’époque, les drames familiaux n’étaient pas rares, ce qui leur fit éprouver une certaine empathie l’un pour l’autre. D’abord cordiaux, leurs rapports devinrent rapidement amicaux au fil des missions très subsidiaires que leur confiait l’Ordre.
Désirant disposer d’un port dans son royaume à proprement parler, le roi Louis IX ordonna la construction du port d’Aigues-Mortes. C’est ainsi qu’une grande partie de la noblesse française y embarqua le 25 Août 1248 en direction de la ville de Limassol sur l’île de Chypre. Le 17 Septembre, Henri Ier les accueillit sur l’île afin d’y passer l’hiver. Durant l’hiver, les chefs de la croisade tirèrent des leçons de la croisade de Thibaut IV de 1239. Ils savaient que Jérusalem ne pouvait être prise en marchant directement dessus. C’est ainsi qu’ils choisirent de prendre le cap de l’Égypte afin d’y capturer des villes qu’ils comptaient échanger par la suite contre Jérusalem.
Néanmoins au printemps 1249, la ville qui devait fournir à l’armée de Louis IX des navires pour la transporter, Saint-Jean-d’Acre, fut secouée par une guerre civile. Le roi de France dut intervenir pour y mettre fin et négocier la paix. La flotte arriva enfin à Limassol mais peu de temps après le départ pour l’Égypte, une tempête naquit et dispersa les navires sur la Mer Méditerranée. Les premiers navires n’arrivèrent en vue de Damiette que le 4 juin suivant et parmi ceux-là, le navire qui transportait Jeremiah.
C’est ainsi que le jour suivant, Jeremiah connut pour la première fois les horreurs d’un champs de bataille. Les croisés débarquèrent tout en subissant les assauts successifs des soldats musulmans de l’armée ayyoubide. Au prix de lourdes pertes, ils parvinrent à les repousser et à tuer plusieurs émirs. Le dirigeant musulman, Fakhr al-Dîn décida d’abandonner la plage pour se replier à Damiette. Mais il ne resta pas longtemps en ces lieux, préférant se retrancher à Ashmûn-Tannâh au Sud. Sous la panique la plus totale, les habitants de Damiette fuirent leur ville pour se diriger vers le delta du Nil. C’est ainsi que le 6 Juin, les Croisés prenaient Damiette sans difficulté notable.
Croisés et Templiers attendront dans cette première prise le reste des troupes dispersées par la tempête. Mais le temps qu’elles arrivent, le Nil était déjà entré en crue et tous durent alors attendre jusqu’à la fin du mois d’Octobre qu’elle se finisse.
En attendant, Croisés et Templiers durent prendre leur mal en patience. Déjà forts, les liens qui unissaient Jeremiah à Olivier ne cessèrent de se renforcer au fil des épreuves, que ce soit sur le champ de bataille ou au campement où les conditions de vie étaient rudes. Ces conditions semblaient d’ailleurs particulièrement éprouver Olivier dont la forte constitution semblait ne plus suffire. Il maigrissait à vue d’œil et bien qu’il tentait de se nourrir, il n’était pas rare que rien ne pénètre sa bouche.
Finalement ce ne fut que le 20 Novembre 1249 que l’armée prit le chemin du Caire. L’émir Fakhr al-Dîn organisa de nombreuses escarmouches pour harceler les Croisés afin de les maintenir sous tension et de les empêcher de trop récupérer entre chaque bataille. Mais le 7 Décembre, les événements prirent une tournure décisive. L’émir envoya contre les Francs près de six cents cavaliers entre Fâriskûr et Sharimsâh.
Les récentes batailles semblaient avoir changé Jeremiah qui devenait de plus en plus impitoyable au fil de ses combats. Trop amoindri par le mal qui le rongeait depuis de nombreuses semaines, aux dernières minutes de l’assaut musulman, avant que celui-ci ne soit repoussé, Olivier fut une proie facile pour les assaillants. Désarçonné, son adversaire était revenu sur ses pas pour le tuer alors qu’il gisait au sol, sans la force de se relever. Jeremiah entra alors dans une colère noire et, malgré l’interdiction de Louis IX, il se lança à leur poursuite … accompagné par l’ensemble des Templiers désirant ardemment venger la mort de l’un d’entre eux. C’est ainsi que des six cents cavaliers, seule la moitié en réchappa.
Le 21 Décembre, l’armée arriva enfin à proximité de Mansura où elle établit un campement faute de pouvoir s’en rapprocher plus. En effet pour attaquer la ville, il fallait franchir un bras du Nil, le Bahr al-Saghîr, mais l’émir Fakhr al-Dîn tenait fermement l’autre rive. Il en profita pour faire attaquer régulièrement le camp des Francs par ses hommes. Ces attaques incessantes divisèrent les troupes par leurs réactions. Les uns devenaient de plus en plus barbares dans leurs combats et connaissaient une envie ardente de voir le sang musulman rougir le sol ; tandis que les autres devenaient fatigués, las de tant de violence. Après la mort d’Olivier, et sa vengeance, Jeremiah commençait à montrer des signes de cette lassitude. Mais il devait suivre le mouvement, pour son père adoptif Charles, en ayant pleinement conscience que c’était au risque d’y perdre sa propre vie pour un combat qui n’était pas le sien et qu’il n’avait pas voulu.
La chance finit par sourire aux Francs lorsqu’ils apprirent de la bouche d’un déserteur Bédouin qu’il existait un gué à Salamûn à quelques kilomètres en aval. C’est ainsi que Louis IX et son armée parvinrent à traverser ce bras du Nil le 8 Février 1250.
Le comte d’Artois et sa portion d’armée furent les premiers à mettre le pied sur l’autre rive. Accompagné des Templiers, il n’écouta pas leurs conseils de prudence. Ne voulant pas attendre le reste de l’armée royale et désobéissant aux ordres de son frère Louis IX, il se mit à charger le camp musulman … suivi par les Templiers qui avaient fait le serment de le servir.
La victoire fut totale et sanglante. L’émir Fakhr al-Dîn fut tué et son armée mise en déroute.
Galvanisé par cette victoire, Robert d’Artois ne voulut pas s’arrêter en si bon chemin et décida de passer à l’étape suivante : la prise de Mansura … et ce malgré les nouvelles tentatives de raisonnement de la part des Templiers. Néanmoins, ils le suivirent une nouvelle fois et investirent Mansura. Complètement désordonnés, ils s’éparpillèrent dans les rues de la ville. Désordonnés, les musulmans ne l’étaient pas. Ils s’étaient regroupés derrière un chef mamlouk prénommé Baybars. Il organisa une contre-attaque aussi efficace que sanglante. Les soldats d’Artois et les Templiers tombèrent sous leurs lames. Des trois cents Templiers entrés dans Mansura ce jour-là, seuls cinq en réchappèrent vivants. Parmi ceux-là se trouvait Jeremiah. Le jeune homme d’une trentaine d’année était parvenu à survivre en grande partie grâce à l’enseignement de son père Charles qui lui avait appris les techniques ancestrales de furtivité de la famille Érébard. Cela lui permit de se glisser dans l’ombre des ruelles et de s’échapper de la ville sans que personne ne le voit au moment où il avait compris que leur défaite était irrémédiable.
Profitant de ce véritable chaos que fut cette hécatombe, Jeremiah laissa croire qu’il avait également péri dans Mansura. Au profit de la nouvelle lune et de l’obscurité la plus totale de la nuit, il fuit le champ de bataille sans se retourner, avec la ferme intention de ne plus jamais sentir le goût du sang. Son cheval littéralement éreinté par la course effrénée qui s’ensuivit dans le désert, expira trois jours plus tard. Dorénavant à pieds, la bonne étoile de Jeremiah lui sourit lorsqu’il rencontra un bédouin isolé. Il l’assomma, lui laissa suffisamment de vivres pour quelques jours et lui vola le reste : habits de rechange, vivres et surtout sa monture, un dromadaire. Dans le désert il n’y avait rien de mieux comme monture qu’un dromadaire. Ayant pu étudier la carte de l’Égypte, il prit plein Ouest et arriva au port de Saïs, sur un autre bras du Nil. Grâce aux habits volés au bédouin, il se fit passer pour un musulman désœuvré par la guerre et vendit son dromadaire pour acheter la remontée du Nil jusqu’au port de Rosette. De là, avec l’argent qu’il lui restait de la vente de son dromadaire, et ayant abandonné son costume entre-temps, il embarqua pour un long voyage jusqu’en France. Il finit par poser le pied au port d’Aigues-Mortes en Juillet 1250.
A partir de là, son voyage fut plus calme. Il regagna le domaine d’Érébard … pour le retrouver en cendres. Il n’y avait plus traces de quiconque.
Ayant fait connaissance avec plusieurs travailleurs du domaine, il se rendit à leur domicile pour s’enquérir de ce qui s’était passé. Après de nombreux refus, finalement l’un d’eux lui raconta ce qui était arrivé : peu après son départ, en 1245, des Templiers étaient revenus une troisième fois pour tuer Charles et ses serviteurs les plus directs avant de mettre le feu au domaine.
Jeremiah se retira, accablé par cette nouvelle et comprenant que tout ce qu’il avait enduré n’avait été qu’une mascarade de la part des Templiers et ce depuis le début. Se remémorant les moments de joie passés avec son père adoptif, il finit par se souvenir de ce qu’il lui avait dit une fois. Si jamais il devait lui arriver malheur, s’il le souhaitait il pourrait trouver refuge au sein d’un monastère en Champagne. Le Père René qui s’y trouvait lui devait un service.
C’est ainsi qu’en Septembre 1250, Jeremiah arriva au fameux monastère où le Père René l’accueillit.
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Après Miles, Wade et Jeremiah, la prochaine mémoire oubliée sera donc consacrée à Frédéric
Dim 8 Sep - 23:24 par Shion