Terre 14627 - Abu Dhabi
A peine eut-il franchi la faille dimensionnelle par laquelle Elizabeth l’avait projeté que Frédéric sentit la différence de température de l’atmosphère avant même de se rendre compte de ses propres yeux à quoi était-ce dû. Sa chute fut courte, si bien qu’il ne put voir dans quel genre de dimension il avait atterri. Il frappa durement un sol dur avec son épaule droite avant de partir en roulé boulé sur ce qui semblait être du gravier, du gravier extrêmement chaud, à l’image de la température ambiante. Néanmoins, Frédéric parvint à rapidement se stabiliser en laissant trainer ses griffes à la recherche de la moindre prise pour le stopper. Chose faite, il se redressa et observa les environs. Le gravier brûlant sous ses pieds était en fait le recouvrement d’une terrasse d’un bâtiment. Le ciel au-dessus de lui était si noir de nuages qu’il se serait cru en pleine nuit. En fait il ne parvenait pas à savoir s’il faisait jour ou non tellement la luminosité qui semblait provenir des rues était intense. Frédéric se hasarda alors à s’approcher du bord du bâtiment et comprit d’où venait cette lumière. Les rues étaient envahies par une lave incandescente que déversaient les flux et reflux d’un océan de lave sur sa droite. De sinistres craquements vinrent à ses oreilles de toute part. C’était comme si l’écorce terrestre craquait et s’ouvrait sous la ville. Régulièrement, des bris de verre se faisaient entendre. Les vitres des premiers étages des bâtiments explosaient sous l’intense chaleur.
En voyant cet apocalypse, qui semblait planétaire, cela rappela à Frédéric l’une des dimensions sur lesquelles il avait atterri lorsqu’ils avaient affronté les deinones. Dans le même genre de théâtre, il y avait affronté une créature mourante au sommet de la Statue de la Liberté. Chose qu’il ignorait, c’était qu’il s’agissait de la même dimension. Possédant une importante distorsion temporelle, cette Terre semblait ne pas en finir d’être en cataclysme en regard au flux temporel multiversel commun.
Soudain une secousse ébranla le bâtiment sur lequel il se trouvait, ce qui le rappela à l’urgence de sa situation. Soumises à la lave, les fondations du bâtiment sur lequel il était commençaient à fondre. Le bâtiment commençait à se tordre sous son propre poids. Il devait le quitter au plus vite. Par chance la ville où il se trouvait comptait de nombreux buildings. Frédéric se tourna alors vers sa gauche, à l’opposé de l’océan de lave, et bondit sur le toit du building d’à côté qui était approximativement à la même hauteur. Pleinement conscient qu’il ne devait pas s’arrêter, car tous les buildings de la ville connaîtraient tôt ou tard le même sort, Frédéric bondit de building en building jusqu’à entendre un puissant fracas. Un nouveau bris de verre se fit entendre mais bien plus puissant que ceux que Frédéric avait pu entendre jusque-là. De plus, cette fois il ne semblait pas provenir d’en bas mais au-dessus de lui. Tandis qu’il courait en travers d’un toit, il prit le temps de lever la tête et vit, très en hauteur, dans le ciel, une anomalie. Ce fut comme si le ciel n’avait été qu’une paroi de verre qui se serait brisée à un endroit. Instinctivement, il sut que c’était là sa porte de sortie. Le seul problème était qu’elle se trouvait à plusieurs centaines de mètres de hauteur et seuls trois buildings étaient susceptibles de l’y rapprocher. C’est en voyant ces fameux trois buildings, ces trois flèches, qu’il comprit où il se trouvait en les reconnaissant. Ces trois tours étaient le World Trade Center d’Abu Dahbi. Pas passionné d’architecture pour un sou, il avait le souvenir de les avoir vues dans un célèbre film d’action bodybuildé avec des bolides.
Note 1 Il appréciait très mal la distance qui séparait la faille du building le plus haut ; néanmoins il devait tenter le coup ou finir dans la lave. Il se dirigea alors vers le plus proche des trois bâtiments, enchaînant bond sur bond de building en building. Plus il se rapprochait de la première flèche, plus il se rendit compte qu’elle était isolée, dans un pâté de maisons qui était propre au World Trade Center. Il allait devoir se dépasser pour l’atteindre sans poser le pied dans les rues. Tout en courant, il se métamorphosa en loup, ses enjambées s’allongèrent, sa vitesse augmenta. Puis il s’enflamma et frappa à la dernière seconde le toit où il se trouvait d’un puissant jet de flammes tout en effectuant le bond le plus puissant qu’il pouvait. Le bond fut titanesque. Frédéric atteignit la façade de la pointe où il enfonça ses griffes dans les vitres pour ne pas tomber. Quelque peu haletant, il savoura son exploit durant quelques secondes avant de se mettre à grimper le long de la façade et ce jusqu’à la terrasse. Quelque peu essoufflé en arrivant sur le toit, durant quelques secondes Frédéric chercha la faille du regard. Il l’a vit à plus d’une centaine de mètres de lui. Il devait encore grimper. La prochaine étape était la seconde tour la plus haute de la ville : la Central Market Commercial Tower haute de 280 mètres. Prenant plusieurs grandes inspirations, Frédéric prit de l’élan et refit un bond fantastique, boosté par ses flammes, et atteint son objectif, à quelques étages de la terrasse. Dans son dos, de grands fracas retentissaient. Il jeta un coup d’œil en arrière et ce qu’il vit le terrifia. Les immeubles les plus proches de l’ancienne plage s’effondraient dans la lave et la tour qu’il venait de quitter commençait à émettre des sons inquiétants. Il devait absolument se presser. Sans réfléchir, il reprit de l’élan et s’élança vers la troisième tour, la Central Market Residential Tower, haute de 374 mètres. Derrière lui, la Central Market Commercial Tower explosa littéralement. Une colonne de flammes dévasta l’intérieur de la tour jusqu’à jaillir tel un geyser ardent.
« - Comme si ça ne suffisait pas ! » s’esclaffa Frédéric.
Immédiatement, il reporta son attention sur la brèche dimensionnelle. Elle était encore loin de lui mais il devait tenter le tout pour le tout. Se recroquevillant sur lui-même, Frédéric se détendit tel un ressort et exécuta un formidable bond. Tandis qu’il montait, se rapprochant de la brèche, il vit une gigantesque boule de feu surgir de la tour transformée en geyser. Comme si elle était douée de volonté, elle se projeta vers Frédéric. Parcouru par un sentiment de mort imminente, Frédéric puisa dans la moindre de ses ressources pour produire un feu assez intense pour accompagner son saut et atteindre la fissure. La gigantesque boule de feu passa juste sous lui tandis qu’il gagnait de l’altitude. De façon inexpliquée, la boule de feu incurva sa trajectoire et se mit à monter. Elle rejoignit Frédéric et commença à tourner lentement autour de lui tout en accompagnant son ascension. Un court instant, Frédéric se sentit détendu. Jamais il ne pourrait l’expliquer mais ce fut comme s’il venait de retrouver un très bon ami perdu de vue depuis dix ans. Sans qu’il s’en aperçoive, son ascension accélérait sensiblement, il se mettait réellement à voler. Il revint à lui en voyant la brèche arriver à toute vitesse.
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Terre 499
Expulsé de la Terre 1960 par Elizabeth, Miles finit sa course en traversant un gigantesque vitrail d’un château lugubre perdu au milieu de nulle part. Se remettant de l’impact avec le plancher en pierre d’une grande salle de banquet, Miles maudit la gamine qui l’avait envoyé ici. Il lui avait pourtant juré qu’il ne valait mieux pas que leurs chemins se croisent à nouveau et voilà que c’était lui qui en faisait les frais.
Maugréant, il se releva et observa la pièce où il était tombé. Il y avait là une longue table autour de laquelle devaient festoyer autrefois de nombreux convives ... lorsque le château était encore habité. En effet, la pièce, comme sûrement tout le château, avait été laissée à l’abandon. De la poussière la tapissait, les sièges, la table et les couverts disposés dessus et les chandeliers arboraient de magnifiques toiles d’araignée. Il se dirigea alors vers le vitrail qu’il avait fracassé et observa l’extérieur. Il faisait nuit noire et aucune lune n’éclairait les environs.
« - Où est-ce que je suis encore tombé ? Et où sont les autres ? »
..oO( Retrouve-les ! Tu sais ce qui va se passer si tu restes éloigné d’eux trop longtemps !) lui dit alors Desmond de l’intérieur de son esprit.
« - Inutile de me le rappeler ! » répondit Miles.
« - En voilà un charmant convive que voici ! Il se fait la conversation à lui-même pour combler les vides ! » dit soudain une voix féminine, presque enfantine.
Surpris, Miles se retourna vivement et découvrit une jeune femme habillée à la façon d’une poupée avec une robe à froufrou et des collants rayés, l’ensemble en noir et blanc. Son visage était entièrement poudré de blanc et ressemblait à de la porcelaine.
« - Euh ... Salut ! Excusez-moi pour le vitrail, j’ai ... »
« - Charmant et poli ! Vous avez tout pour vous, mon cher. Voulez-vous une tasse de thé ? »
Tout en disant cela, la poupée humaine se dirigea vers une théière disposée sur la table. Elle semblait être en argent mais tout comme le reste, elle était couverte de poussière.
« - Euh ... Non merci, je ne faisais que passer, il faut que je rejoigne mes compagnons ».
« - Oh ? Vous avez des compagnons ? Ils peuvent se joindre à nous, vous savez, cela ne me dérange pas ! »
..oO( Tu m’étonnes ! Elle est déjà assez dérangée comme ça !) souffla Desmond.
« - Mes ... compagnons ne peuvent venir, c’est à moi de les rejoindre » répondit Miles en s’efforçant d’être le plus poli possible.
Soudain un bris de verre résonna dans toute la province autour du château. Le son ne provenant pas du château, Miles observa par le vitrail brisé l’extérieur. Il vit alors dans le ciel une déchirure spatiale donnant sur la pièce de Columbia dont il avait été expulsé. Il comprit rapidement que c’était sa porte de sortie.
« - Je suis désolé, mais je vais devoir y aller ! »
« - Je ne crois pas, non » répondit la jeune femme.
« - Pardon ? »
« - Vous me contrariez fortement en ce moment et je suis en train de croire que si vous ne retournez pas d’où vous venez, vos compagnons viendront ici se joindre à nous ».
« - Si je ne pars pas maintenant, ce ne sont pas mes compagnons qui arriveront mais des individus bien moins sympathiques, sur ce ... »
Alors que Miles allait bondir par la fenêtre des tiges d’acier sortirent des murs et du sol pour immobiliser Miles.
« - Vous voyez à quelles extrémités vous me poussez ? Vous n’êtes pas un garçon aussi bien élevé que nous le pensions ! »
« - Et encore ... T’en es loin ! »
A ces mots, Miles se métamorphosa en démon, tordant par sa simple prise de masse musculaire les barreaux de métal. La seconde qui suivit, il se téléporta juste devant la femme poupée et la frappa d’un puissant direct du droit en plein visage. La créature féminine fut propulsée jusqu’au mur contre lequel elle s’écrasa. Sans attendre, Miles se téléporta jusqu’au vitrail brisé et estima la distance qui le séparait de la brèche. Soudain, la créature se releva en hurlant de douleur. Miles jeta un coup d’œil en arrière et vit son visage de porcelaine en miettes. Derrière ce masque improbable se cachait un visage à la peau sombre, aux chairs pourries et à la dentition singulière qui n’appartient qu’aux vampires. Tandis que la créature se tenait le visage entre ses mains, Miles détourna le regard et se téléporta jusqu’à la brèche.
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Terre 9633 - Pôle Sud
Cela faisait près d’une semaine maintenant que l’expédition polaire avait établi son camp de base. Depuis son départ de la France métropolitaine, ce ne fut que lorsqu’il posa le pied sur la banquise qu’Émile Postridge se sentit enfin vraiment détendu. Là, aux confins du Monde, en plein désert blanc, Émile se sentait enfin vivant. Son encéphale n’était plus perturbé par aucun stress social que ce soit. Bien sûr, il n’était pas seul, d’autres scientifiques l’accompagnaient mais ce n’était pas comme à l’Université. Il se retrouvait au milieu d’une poignée de ses congénères, des hommes à l’esprit tout aussi brillant que le sien. En plein été australe, les journées étaient presque infinies. Il y avait périodiquement des périodes durant lesquelles régnait une légère pénombre mais il ne faisait jamais nuit à proprement parler. Au début, cela perturba leurs organismes et ils mirent quelques jours à s’y acclimater. Cet inconvénient passé, les chercheurs passaient le plus clair de leur temps sur leurs recherches propres. Certains creusaient la calotte polaire pour lui en extirper des carottes de glace et améliorer leurs connaissances des paléoclimats qui régnèrent sur le globe il y a plusieurs millénaires de cela. Leur outil de prédilection était une étrange machine de leur cru. Grâce à la lumière du soleil, elle produisait un puissant faisceau qui leur permettait d’atteindre la profondeur voulue et ensuite de prélever leurs carottes. D’autres chercheurs, quant à eux, étudiaient la magnétosphère dont la singularité en ce point les passionnait. Enfin, Émile travaillait presque exclusivement seul sur son thème préféré : le boson de Higgs. Régulièrement, il sortait de sa tente pour effectuer des mesures spatiales. En effet, en menant ses recherches depuis près de deux décennies sur cette fameuse particule, il avait entrevu de nouveaux domaines de la physique. Ainsi, il supposait fortement que la matière visible actuellement ne composait pas l’essentiel de notre univers mais seulement une très petite fraction. Il soupçonnait l’existence d’une matière qu’il qualifiait de transparente au moins cinq fois plus abondante que celle connue aujourd’hui.
Aujourd’hui était un jour tout à fait normal depuis le début de l’expédition. Bien que le thermomètre était loin en dessous de zéro, la température était supportable en absence de vent. Aujourd’hui encore, Émile était sorti de sa tente après avoir quelque peu modifié ses instruments de mesures. Alors qu’il effectuait un nouveau relevé, ses instruments s’affolèrent soudainement. Quelque chose était en train de se produire dans le tissu de sa réalité. Quelque chose qu’il n’osait formuler dans son esprit. A côté de lui, les magnétologues s’esclaffèrent. Leurs instruments relevaient également des données aberrantes. Que se passait-il au juste ?
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Note 1 : le film dont se souvient Frédéric est bien évidemment Fast and Furious 7.
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Note 2 : Voici une vue d'Abu Dhabi
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Note 3 : Ce dont Émile Postridge soupçonne l’existence n’est autre que la Matière Noire, autrement appelée Matière transparente.
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A suivre dans le chapitre 282 - Shards of Dimensions, part 4 : Darkness
Lun 14 Déc 2015 - 18:35 par Shion