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 Babel Horror Show 2023

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Jezekiel
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Jezekiel


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28102023
MessageBabel Horror Show 2023

Terre 577 - An 1584 - Royaume de France

La taverne de l’Ourse enivrée était bâtie en plein Morvan, à l’est d’Avallon, et se situait accessoirement à mi-chemin entre Paris et Marboz. Sa renommée ne s’étendait guère plus à une centaine de bornes alentour et accueillait la fine fleur des ivrognes des exploitations agricoles environnantes. Tomber sur cet établissement par hasard et avoir tout de même envie d’y entrer relevait de l’inconscience selon certains ... ou d’une farouche volonté de s’abriter du mauvais temps.

En ce 19 mars de l’an de grâce 1584, l’hiver était sensé être sur le point de tirer sa révérence pour laisser place au printemps fleuri. Mais les trombes d’eau de cette nuit étaient glacées au possible et le voyageur de grands chemins était ravi de pouvoir s’abriter sous un toit imperméable, quel qu’il soit.
Ainsi ce fut un trio inhabituel qui poussa la porte de l’Ourse enivrée tandis que le ciel grondait. A la silhouette large et droite des deux premiers individus, tous surent instinctivement qu’ils n’étaient pas du coin avant même de distinguer leur accoutrement. Ils portaient tous trois une cape ruisselante dont ils s’étaient enveloppés. Tous trois appartenant au genre masculin, la virilité des deux premiers ne semblait pouvoir être remise en question sous peine de se prendre une bastonnade en bonne et due forme tellement leur allure transpirait la violence. Quant au troisième homme, sa silhouette, bien que rigide, était tout à fait banale ... et semblait presque fragile aux côtés des deux grands gaillards qui l’accompagnaient. Écartant leur cape, la révélation de leur accoutrement en-dessous parcourut l’assemblée d’ivrognes comme un éclair, à l’instar de celui qui zébra le ciel au même instant, donnant à la scène une allure funeste. L’énorme croix rouge qu’arborait la poitrine des deux gaillards ne laissait aucun doute quant à leur identité ; il s’agissait de deux Croisés. Quant au troisième, plus chétif, l’accoutrement fut encore plus saisissant. Il portait une bure entièrement rouge sur laquelle reposait une lourde croix dorée.
Les deux Croisés observèrent l’assistance qui les observait en retour.

« - Êtes-vous sûr de vouloir vous arrêter ici, mon père ? » fit l’un des deux, méfiant.

« - Voyons messieurs, quel que soit le sol que je foule, l’Éternel est avec nous. Aucun mal ne saurait perdurer en sa présence ».

Au comptoir, l’ecclésiaste vit un homme qui semblait pressé de régler son ardoise. A peine fut-ce fait, il prit ses défroques et sembla vouloir sortir. Mais ce fut sans compter sur le religieux qui le héla.

« - Où allez-vous donc d’un pas si pressé, mon enfant ? »

L’homme s’arrêta et pour la première fois, le religieux aperçut la blancheur de sa peau.

« - Dehors ... si vous n’y voyez pas d’objection » fit-il d’un ton assuré et nullement intimidé.

« - Il pleut des hallebardes là-dehors ».

« - Cela ne me dérange point. Ce sera toujours plus chaleureux qu’ici ».

Le religieux parut interloqué par cette assurance mais cela ne l’empêcha pas de le questionner à nouveau.

« - Puis-je connaître votre nom, mon enfant ? »

« - Hedj ! »

C’est alors que le religieux vit dans le regard de ce Hedj un feu à nul autre pareil. Il promettait plus qu’une violence ordinaire à quiconque viendrait lui chercher des noises. C’était la promesse d’un déchainement sans nom et des plus sanglants.

« - Que Dieu guide vos pas dans votre périple ! »

« - Humpf ! Cela fait bien longtemps que votre dieu ne s’intéresse plus à moi » rétorqua-t-il avant de pousser la porte.

« - Dois-t-on rattraper et molester cet hérétique, mon père ? » fit le second Croisé.

Le père réfléchit un instant et lui répondit par la négative : « - Malgré ce qu’il prétend, l’Éternel trouvera cet enfant issu de consanguinité tôt ou tard et il recevra son dû. Pour l’heure reposons-nous et restaurons-nous, nous l’avons bien mérité ».

« - Si vous faites référence à sa pâleur dermique, elle n’est pas due à une quelconque relation incestueuse, mon père ; c’est une rarissime et bénigne maladie de peau » l’interpella une voix féminine du fond de la taverne.

Tous furent stupéfaits par une telle impétuosité, à défaut de comprendre la moitié des mots employés. Le père, lui-même, fut outré par un tel comportement dans les premiers instants. Puis il porta à cette femme un certain intérêt. Un amusement presque sadique à l’idée d’échanger avec elle et la remettre à sa place.

« - Mon père ? » fit le second Croisé, prêt à aller la corriger physiquement.

Le père fit un signe de la main pour le calmer.

« - Messieurs, trouvez-vous une table. Je vais m’entretenir avec cette brebis manifestement égarée ».

A ces mots, tous les ivrognes de la taverne se levèrent pour faire de la place et sortirent prestement. Les deux Croisés s’attablèrent à une distance raisonnable de celle de la femelle impie tandis que l’homme d’église se dirigeait vers cette dernière. Sans demander une quelconque permission, l’homme s’assit à sa table et se mit à la dévisager.
Elle avait la tête légèrement baissée et cachait le haut de son visage sous la capuche de sa houppelande toute de cuir composée. Mais sa houppelande n’était pas de la même qualité que celle des cape des Croisés. Elle était rapiécée de toutes parts. Autre détail vestimentaire que le religieux décela fut un pendentif minéral en forme de goutte dont la pointe était blanche comme le quartz et la partie bombée sombre et violacé comme de l’améthyste.

Sans regarder le comptoir, le religieux leva la main droite et claqua des doigts.

« - Tenanciers ! Votre meilleure vinasse, je vous prie ! » dit-il à voix haute.

« - De l’alcool, mon père ? » fit la femme, feignant la surprise.

« - C’est le sang du Christ, mon enfant ! » répliqua l’homme d’église.

« - Par quel nom dois-je vous appeler ? »

« - Celui qui vous plaira, mon père ! »

L’homme fut à nouveau amusé par cette outrecuidance.

« - Ce sera Marie-Madeleine alors » fit-il, en guise de défi.

« - Traitez-vous de prostituée toutes les femmes avec qui vous conversez, mon père ? »

L’homme sourit en voyant que son interlocutrice comprenait l’allusion qu’il avait faite.

« - Puis-je vous appeler Père Iscariote, en retour ? »

Le sourire du religieux s’effaça.

« - Pourquoi ne pas m’appeler par mon véritable nom ? »

« - Si vous êtes enclin à le donner ... »

« - Je me nomme Père Kieran Hart ».

« - Le Père Hart sans cœur, voyez donc cela ? » fit-elle, feignant la surprise.

A nouveau Hart fut décontenancé ; elle connaissait donc sa réputation et ce sobriquet qu’il n’appréciait pas particulièrement.

« - Puis-je savoir ce que fait une femme aussi instruite que vous dans ce taudis ? Accompagniez-vous donc l’un de ces pochetrons poltrons ? »

« - Certes non ! Je patiente juste le temps que cet orage passe ... si possible en échangeant avec un homme capable d’aligner quelques mots de façon intelligible ».

« - Suis-je cet élu ? »

« - Eh bien, faute de mieux ... »

L’expression du père Hart s’assombrit. Il n’appréciait pas vraiment être tourné en ridicule, par une femme de surcroit.

« - Eh bien, sur quoi désirez-vous échanger ? Le temps, la cuisine ... la couture ? »

« - Non, je ne vous ferai pas l’affront de vous parler de sujets dont vous ne connaissez rien ... pas plus que des choses de l’amour. Mais il est vrai que cela réduit considérablement les thèmes possibles ».

« - La luxure est un pêché mortel, mon enfant. Vous ne voudriez pas mettre en péril le sort de votre âme dans l’au-delà ? »

La femme se mit à sourire.

« - Et que savez-vous de la luxure, mon père ? »

« - J’en sais bien assez ! »

« - Vraiment ? Vous savez donc ce que cela fait lorsque deux corps s’enlacent et se couvrent de baisers. Lorsque l’un sent la chaleur et le poids de l’autre sur son corps tandis que l’autre sent les mains délicieusement douces de l’un. Et je ne vous parle pas encore du coït ».

« - Cela suffira ! Si c’est tout ce que vous avez à offrir, l’échange va rapidement s’écourter ».

« - Mon père, mille excuses. Je ne voulais pas vous embarrasser devant vos hommes ... qui savent parfaitement de quoi je parle ».

Furieux, l’homme de foi se leva d’une traite.

« - C’est bon, c’est bon, mon père. Je vous taquinais ! ... Que diriez-vous d’une courte histoire. Nous pourrions ensuite échanger sur la morale à en tirer ».

Le père Hart sembla se calmer et se rassit : « - Je vous écoute ».

« - Il s’agit de l’histoire d’un homme répondant au nom de Christophe Labaye ... »

Le père Hart tiqua sur les choix des noms et prénoms du protagoniste.

« - M. Labaye était un bon chrétien, il se rendait à la messe tous les dimanche, se confessait régulièrement mais il n’avait pas de famille. Un jour alors qu’il faisait son marché, il vit une silhouette sombre déambuler au milieu de la foule. Personne ne semblait la voir ou même s’apercevoir de sa présence. Ce qui attira inexplicablement l’attention de M. Labaye qui se mit à la dévisager. Il ne put obtenir grand renseignement puisque la silhouette se tenait de dos. Tout ce qu’il percevait c’était une grande houppelande noire et une main qui dépassait de la manche. Une main particulièrement chétive et d’une pâleur extrême tenant un grand bâton, plus grand que lui. Soudain, la silhouette se retourna vers lui et M. Labaye fut pris d’une terreur comme jamais auparavant. La silhouette n’avait en guise de visage qu’un crâne. M. Labaye comprit de suite à qui il avait affaire, ou plutôt à quoi : la Grande Faucheuse.

Persuadé qu’elle était venue pour lui, M. Labaye se mit à courir dans les allées du marché, bousculant tout le monde au passage. Son sac l’alourdissant considérablement, il décida de le lâcher et rentra chez lui à toute vitesse.

Trop terrifié pour se soucier de détails, il prit ses richesses et s’enfuit de sa maison. Il paya une calèche pour qu’elle l’emmène le plus loin possible de son village de résidence. Il fit de même plusieurs fois durant les jours à venir pour enfin se poser au comptoir d’une taverne, épuisé de sa course folle. Il but trois pichets de vins et ressortit de la taverne à la nuit tombée, complètement saoul. Titubant dans les rues sombres, il vit un carrosse débouler à grande vitesse. Encore réactif malgré les litres de vinasse qu’il s’était enfilés, il parvint à esquiver le carrosse in extremis. C’est alors qu’une main se posa sur son épaule.
M. Labaye sursauta en voyant la mort à ses côtés.

« - Aaah ! Christophe Labaye, vous voici. J’avoue avoir été surpris l’autre jour en vous voyant sur ce marché alors que nous devions nous rencontrer ce soir ici-même. Vous avez fait route à tombeau ouvert, mon ami ».

« - C-comment ça ? Mais je ne suis pas m-m-mort ! »

« - Je crains bien que si » fit la faucheuse en pointant du doigt quelque chose sur la route devant eux.

Il s’agissait du corps méconnaissable de M. Labaye après être passé sous les sabots de l’attelage et les roues du carrosse. Finalement, il n’avait pas été aussi vif qu’il ne l’avait cru. Pire que tout, il avait lui-même causé sa propre perte en buvant comme un trou après avoir passé ses derniers jours à foncer vers son destin ».

L’histoire finie, le père Hart fit semblant de réfléchir profondément à la morale de cette histoire puis finit par dire : « - La morale à retirer de cette histoire est que rien ne sert de fuir, le destin nous rattrape toujours ».

La femme face à lui ôta alors sa capuche et le regarda droit dans les yeux. Pour une raison qu’il ne saurait expliquer, son regard lui glaça le sang.

« - C’est tout à fait la morale que cette histoire tend à transmettre. Même un enfant de dix ans l’aurait compris, mon père » lui dit-elle sur un ton narquois pour se moquer du temps qu’il avait pris pour lui répondre.

Cela sembla le contrarier à nouveau. Mais quelque chose d’autre attira son attention. Au dehors, la pluie avait enfin cessée.

« - J’ai passé un moment ... particulier avec vous, mon enfant. Mais étant donné que le temps dehors s’est calmé, je vais vous laisser ».

« - Ce fut distrayant pour moi. Tout comme Christophe Labaye et la faucheuse, nous nous reverrons dans quelques jours et vous ferez face à votre destin ».

Le père Hart se mit à rire de façon très sonore.

« - Me prenez-vous pour un enfant de dix ans ? »

« - Cela me serait difficile étant donné votre grand âge » s’amusa la femme.

« - Mais permettez-moi de payer vos boissons, à vous et vos hommes ... il faut bien que vous y gagniez quelque chose » ajouta-t-elle en claquant des doigts et faisant apparaître une pièce d’argent sur la table.

Le père Hart fut surpris et sourit jaune avant de tourner les talons.

« - A bientôt Kieran ! » lui lança-t-elle avant qu’il ne sorte avec ses hommes.

Cette fois encore, le père Hart eut le sang glacé. Sa voix semblait s’être adressé directement à son âme.

Le père Hart et les deux Croisés ressortirent de la taverne et remontèrent à cheval sans même avoir dormi. Le lendemain soir, ils arrivèrent enfin à leur destination : la ville de Marboz. L’évêque de la paroisse, le père Morel, fut surpris de les voir déjà arriver mais les accueillit cordialement. En retour, le père Hart fut tout juste aimable et réclama qu’on leur montre leurs cellules pour qu’ils se reposent.

Le lendemain matin, un jeune moine vint se présenter au père Hart et l’emmena au père Morel. Les deux hommes s’entretinrent quant à sa demande.

« - Le 16 mars dernier, vous avez envoyez une missive à l’évêque de Paris pour qu’un inquisiteur vienne en votre paroisse. Me voici ! Quel est le sujet ? »

« - On ne vous a rien dit à ce sujet ? » s’étonna le père Morel.

« - Je n’ai nul besoin de savoir pourquoi le Seigneur requiert ma présence en tel ou tel lieu. J’y vais, je juge de la situation et je fais ce pour quoi l’on m’a missionné » rétorqua froidement le père Hart.

« - Le 15 mars, nous avons enfermé une ... femme » le père Morel fit un signe de croix avant de poursuivre : « - Nous avons enfermé une femme car nous la soupçonnons d’actes de sorcellerie ».

Une lueur sembla s’allumer dans le regard de Hart à cette évocation.

« - Son nom ? »

« - Éline Collet ».

« - Quels sont ses mœurs ? »

« - Elle vit seule dans une cabane retirée à l’orée de la forêt ».

« - Que lui reproche-t-on ? »

« - Depuis qu’elle est arrivée parmi nous, des ... actes impies ont été commis. Une grange a pris feu un soir de février après qu’elle eu maille à découdre avec son propriétaire. Ses relations avec le village se sont tendues par la suite et au début de ce mois notre village a connu un tremblement de terre comme jamais il n’en avait connu auparavant ».

« - Autre chose ? » fit Hart, qui soupçonnait le père Morel de ne pas lui dire toute la vérité.

« - Eh bien ... avant que tout ne dégénère, elle soignait volontiers tous ceux qui venaient lui rendre visite ... avec des herbes parait-il ».

« - Magie blanche et magie noire ? Celles qui connaissent les deux faces de la pièce sont les plus ardues à faire avouer » fit pensivement Hart.

« - Où puis-je la voir ? »

« - Aux cachots bien évidemment » répondit le père Morel.

Ce dernier comprit alors qu’il devait amener le père Hart aux cachots du village.

La prison se situait en bordure de la ville. C’était un bâtiment tout en pierre et donnait l’impression d’être fortifié. Le lieu était des plus sinistres. Aucune végétation ne semblait vouloir pousser autour de ce lieu de malheur. Seuls deux grands arbres dénudés subsistaient devant la prison, comme deux sentinelles de bois avertissant quiconque qu’on entrait dans un lieu de malheur. A la branche la plus solide de l’arbre de gauche pendait le cadavre d’un prisonnier fraichement pendu. Tandis qu’à côté de l’arbre de droite, au sol, gisait une cage en fer forgé. Le seul son qui se faisait entendre fut le cri des corbeaux, planant au-dessus de la prison. Le père Hart ne fut nullement ému par cette vision ; il avait visité des prisons bien moins engageantes que celle-ci.

Ils franchirent les portes sans encombres et le père Morel remis le père Hart aux bons soins du directeur de la prison. Celui-ci l’accompagna jusqu’à la cellule d’Éline Collet tout en déblatérant des banalités que l’inquisiteur avait appris à ignorer.

Face à la cellule, Hart fut stupéfait. La femme était bâillonnée et enchaînée mais surtout, il l’avait déjà vue. Elle ressemblait trait pour trait à l’insolente de la taverne de la veille.

« - Depuis combien de temps la détenez-vous ? »

Le directeur consulta son registre.

« - Elle a été amenée le 15 mars, mon père ».

Le 15 mars, soit 4 jours avant qu’il ne la rencontre dans la taverne. Il était sûr de ne pas confondre. Il avait longuement dévisagé l’insolente pour mémoriser ses traits au cas où leurs routes se croiseraient à nouveau. C’est alors qu’il vit une petite cordelette autour de son cou. Hart demanda à ce qu’on lui ouvre la cellule. A peine fut-ce fait qu’il se dirigea sur Éline et tira sur la cordelette. Un pendentif sortit de sa tunique. Un pendentif minéral en forme de goutte faite de quartz et d’améthyste. Hart reconnut le pendentif et fronça les sourcils. Il s’approcha de l’oreille d’Éline et lui glissa ces quelques mots : « - Vous aviez raison sur un point, ma chère, nous nous retrouvons ... mais c’est vous qui allez faire face à votre destin ».

Éline ne comprit pas de quoi il parlait. Hart ressortit du cachot et s’adressa au directeur : « - Avez-vous un endroit où je pourrais la questionner ? »

« - Bien évidemment, mon père. Je pense que vous serais satisfait des aménagements ».

« - Bien, très bien. Ne perdons pas de temps ! »

Le directeur fit signe aux geôliers d’amener la détenue au sous-sol.

« - A-t-elle était mise au courant de quoi on l’accuse ? »

« - Non, mon père ! »

En ces âges sombres, il relevait en effet du droit inquisitorial de ne communiquer aucun chef d’inculpation à l’accusé, l’obligeant alors à se défendre à l’aveugle.

« - Puis-je me hasarder à vous poser une question indiscrète ? » fit le directeur.

« - Faites, mon cher ! »

« - Je vois que vous êtes venu les mains vides, connaissez-vous donc les manuels par cœur ? »

Le père Hart se mit à sourire.

« - Je constate que pour une ville somme toute modeste, vous êtes bien renseigné sur le sujet. Les manuels de Bernard Gui, d’Eymerich ou encore de Torquemada sont pour les inquisiteurs qui n’ont pas la même ferveur au travail que moi. Je n’ai nul besoin de manuels pour savoir comment questionner une âme perdue et la faire avouer ».

A cet instant précis, le directeur sembla l’admirer comme s’il avait été en présence d’un saint.

Hart et le directeur suivirent les geôliers qui descendaient la pauvre Éline aux niveaux inférieurs. Ils arrivèrent au deuxième sous-sol de la prison. Il y faisait plus frais et l’humidité y était plus importante. De ça et là des rats couraient le long des murs et les gouttières creusées à même la pierre qui se déversaient directement dans les égouts juste en dessous. Ici, pas de lumière naturelle. Le sous-sol était éclairé à la lumière de plusieurs torches. La lumière du soleil, la lumière du Seigneur, n’atteignait pas ce lieu de perdition.
Hart inspecta les lieux du regard et fut agréablement surpris par les installations que ce sous-sol proposait.

« - Bien ! On va pouvoir avancer ici » admit-il.

Le directeur sembla ravi de l’appréciation du père Hart. C’est alors qu’un jeune homme vint les rejoindre. Le directeur indiqua qu’il prendrait note de tous les aveux de la prisonnière.
Hart s’assit à une petite table et fit signe d’installer la prisonnière à la chaise en face de lui.

« - On va commencer par les bases, quel est votre nom ? Certainement pas Marie-Madeleine ».

Éline ne comprit pas l’allusion.

« - Je m’appelle Éline Collet ».

« - Depuis quand vivez-vous à Marboz ? »

« - Je suis arrivée depuis le début de l’an 1580 ».

« - Où habitiez-vous auparavant ? »

« - J’habitais à Arles ».

A l’évocation de cette ville, Hart marqua une pause. Il la connaissait, c’était certain, mais pas pour sa renommée. C’est alors qu’il fit le parallèle entre la ville et la date à laquelle Éline disait l’avoir quittée.

« - 1580 ... Arles ... Il y a eu la peste à cette époque » fit Hart à voix haute.

Éline ne réagit pas.

« - C’est une curieuse coïncidence ! »

Une fois encore, Éline ne dit mot.

« - Quelle est votre date de naissance ? »

« - Je suis née au courant de l’an 1540 ».

« - 1540 ... Pourquoi cette date me dit quelque chose ? ... »

« - C’était l’année de la grande sécheresse, mon père » intervint le directeur.

Hart sembla étonné : « - Je n’ai jamais eu vent d’un enfant né cette année là qui ait vu l’année suivante. Vous devez être bénie par le Seigneur ... ou par quelqu’un d’autre ».

« - Mes parents ont fait le nécessaire pour subvenir à mes besoins et me garder en vie. Cela fait-il de moi une mauvaise personne ? » fit Éline.

« - Bien sûr que non. Les enfants ont l’âme pure à la naissance. Mais peut-être êtes-vous la fille d’hérétiques. Et vous avez vous-même suivi la tradition familiale ».

« - C’est n’importe quoi ... » laissa échapper Éline, lasse.

« - C’est quoi ça alors ? » fit le directeur avant de jeter sur la table un épais livre. « - Nous l’avons retrouvé dans le taudis qui vous sert de cabane ».

Il s’agissait là d’un vieux grimoire, manifestement plus vieux qu’Éline. Hart fit un signe de croix et l’ouvrit. Il le feuilleta quelques secondes durant.

« - Vous savez lire ? » demanda Hart à Éline, sur un ton parfaitement neutre.

« - J’ai reçu une bonne éducation » répondit-elle.

« - Suffisante pour oser vous moquer des hommes d’église semble-t-il. Ce n’est pas ce que je nommerai une bonne éducation ! » répliqua-t-il.

« - Jamais je ne me suis moquée d’un homme de foi ! » fit-elle, véhémente.

Hart fronça les sourcils. Il se leva et d’un bond lui administra une puissante gifle : « - MENTEUSE ! »

« - Pourquoi avoir fui Arles ? »

La gifle qu’elle avait reçue lui avait coupée la lèvre inférieure. Ne pouvant s’essuyer avec ses mains, enchaînée comme elle l’était, elle passa alors sa langue dessus.

« - Je n’allais pas rester dans une ville envahie par la peste ».

« - Votre grimoire ... il semble contenir des remèdes ».

« - Rien de plus que des onguents, des indications ... quelle plante mâcher pour éviter les flatulences ... rien pour combattre la peste ».

« - Que vous dites ! Êtes-vous à l’origine de la peste d’Arles ? »

« - Quoi ? Non ! »

« - Pourquoi vous être enfuie ? »

« - Je ne voulais par mourir ! » s’écria Éline.

« - Ce n’est pas très chrétien de s’enfuir alors que l’on peut aider » répliqua Hart, incisif.

« - Je ne le pouvais pas !! »

« - Vous ne le pouviez pas ou ne le vouliez pas ? »

« - C’est n’importe quoi ! Est-ce de cela que l’on m’accuse ? »

Éline était perdue.

« - Pas au départ, mais je tiens à passer ce sujet en revue ... après vous avoir ... hmmm ».

Hart regarda autour de lui et reprit : « - Après vous avoir fait boire ... un peu ».

Hart fit signe aux geôliers de l’installer sur la table prévue à cette effet dans le coin nord-ouest de la pièce. Les geôliers s’approchèrent d’Éline et la soulevèrent. Comprenant qu’elle allait être torturée d’une façon ou d’une autre, elle se débattit pour ne pas leur faciliter la tâche. Hart se leva et lui administra une seconde gifle, plus puissante encore que la première. Éline fut quelque peu assommée le temps pour les geôliers de l’installer sur la table et de la ferrée fermement. Une fois chose faite, ils tentèrent de lui placer un entonnoir dans la bouche. Mais ayant repris ses esprits, Éline se débattit comme elle le put pour retarder l’inévitable. Les deux hommes finirent par lui enfourner l’entonnoir au prix d’une dent cassée. S’ensuivirent des minutes des plus pénibles pour Éline. Ils lui firent ingurgiter de force des litres et des litres d’eau. Bien qu’elle tenta de se débattre et refusa d’avaler cette eau qui débordait de sa bouche, les deux hommes la forcèrent à boire en lui massant brutalement la glotte pour qu’elle avale. De longues minutes durant, elle avala encore et encore de l’eau jusqu’à ce que son ventre commence à gonfler exagérément.

Observant froidement la scène, et plus particulièrement le ventre d’Éline, Hart fit cesser cette torture pour éviter que sa vessie n’explose. Éline cracha ce qu’elle put tout en reprenant son souffle.

« - Pitié ... arrêtez ... » fit-elle faiblement.

« - Avouez-vous pour la peste ? »

« - Je suis ... innocente ... »

Après tant d’eau ingurgitée, elle commença à uriner, ne pouvant plus se retenir. A la torture, Hart lui infligeait ainsi la honte de s’uriner dessus. Bien qu’il en soit la cause, Hart ne supporta pas de voir une femme uriner devant lui et lui administra un coup de poing. Éline tomba dans les vapes et continua de s’oublier inconsciemment.

Hart décida de s’en tenir là pour cette journée. Éline ne fut pas ramenée à sa cellule et resta ferrée à cette table, baignant dans sa propre urine avant que ça ne commence à déborder.

L’inquisiteur Hart revint le lendemain, dès le lever du jour. Il l’interrogea sur les circonstances du feu qui avait emporté la grange à la fin du mois dernier. Éline prétendit qu’elle n’en était pas la cause et que le fermier à qui appartenait cette grange était un mauvais homme. Hart se leva et lui administra la première gifle de la journée. Il lui indiqua qu’aucune femme n’était en mesure de juger un homme et certainement pas une catin comme elle. Mais puisqu’elle s’entêtait à ne pas admettre alors il traiterait le feu par le feu.
A nouveau, Éline fut ferrée à la table. Ses pieds furent découverts et l’on apporta un brasero de taille conséquente à proximité. A cause de l’humidité et de la fraicheur du sous-sol, cela fut agréable ... les premières secondes. Puis, la proximité du foyer devint rapidement inconfortable avant de devenir franchement douloureux puis insupportable. Bien que ses pieds n’étaient pas directement mis au contact de la flamme, pour Éline c’était tout comme. Elle se tortilla machinalement pour tenter d’échapper à l’ardente fournaise. Mais rien n’y faisait. La chaleur lui dévorait la voûte plantaire et Éline se mit à hurler. Pendant ce temps, Hart lui hurlait dessus d’avouer. Sachant pertinemment qu’elle était innocente, Éline tint bon. Elle avait un mental de fer. Peu importe les sévices qu’on lui ferait endurer, jamais elle ne se trahirait elle-même en avouant quelque chose qu’elle n’avait pas commis. C’était tout ce qu’il lui restait et c’était tout ce que le père Hart voulait lui arracher.

Près d’une heure plus tard, Éline avait cessé d’hurler. Les nerfs de ses pieds étaient endommagés et ne semblaient plus véhiculer la douleur due à la chaleur. Alors Hart demanda à ce qu’on lui apporte du sel ... et un bouc.
Le sel lui fut apporter rapidement. Quant au bouc, il fallut aller en chercher un dans une ferme voisine. Une heure s’était écoulée lorsque le bouc fut enfin amené dans le sous-sol. Les pieds d’Éline avaient déjà été badigeonnés de sel ce qui avait ravivé un temps les douleurs. Lorsque le bouc arriva, Hart indiqua aux geôliers de l’amener près des pieds. L’animal aimant le sel, se mit à lécher les pieds d’Éline sans qu’on l’y force. D’ordinaire, cette torture se pratiquait sur des pieds non brûlés et partait du principe que les chatouilles provoqués par la langue du caprin seraient suffisamment insupportables pour que l’accusé avoue. Mais ici, Hart visait un objectif différent : que la langue du bouc appuie sur les pieds brûlés et ravive encore une fois la douleur. Et ce fut un grand succès. Éline hurla à se rompre la voix avant de tomber dans les vapes sans avoir avoué quoi que ce soit.

Le troisième jour, Hart revint à nouveau la voir. Il commença par échanger avec elle comme il l’avait fait le premier jour.

« - Comment allez-vous aujourd’hui, mon enfant ? »

« - Je pète le feu ... » répondit faiblement Éline.

« - Toujours le bon mot à la bouche ! Cela m’avait déjà énervé dans la taverne, Dieu me pardonne ».

Une nouvelle fois, Hart faisait référence à un événement qu’Éline ignorait ... ou faisait semblant d’ignorer. Pour Kieran Hart, cela ne faisait aucune doute qu’il s’agissait de la même femme et qu’elle le prenait à nouveau pour un imbécile en feignant ne pas comprendre.

« - Cette nuit-là, vous aviez convenu qu’il serait ardu de converser avec moi tant les thèmes possibles étaient restreints de mon côté. Voyez-vous, vous n’aviez peut-être pas tout à fait tort. Je dois admettre que certaines choses de la vie m’échappent : la luxure, l’avarice ... »

« - La clémence ... » le coupa Éline.

Hart se mit à sourire.

« - Oui, Hart le sans cœur ignore la clémence également. Mais une chose est sûre ... c’est qu’il sait comment faire avouer les pires menteuses ! »

L’inquisiteur claqua alors des doigts. Avant de descendre, il avait donné des instructions aux geôliers qui l’annexaient. Ainsi, deux d’entre eux firent passer une corde dans une poulie fixée au plafond tandis que le troisième remonta chercher quelque chose.

« - Bien ! le 11 mars de cette année, soit quatre jours avant votre capture, Marboz a été le sujet d’un violent séisme. Quel démon avez-vous invoqué ? »

Éline releva la tête et parmi ces longues mèches de cheveux, Hart put voir son regard. Elle avait peur. Elle avait enfin compris quel était le chef d’accusation qui l’avait amené ici : elle était accusée de la pire hérésie qui puisse être : de sorcellerie. C’est alors que le troisième geôlier revint portant dans ses bras une lourde pierre. Devinant quel allait être le prochain supplice, elle se mit à trembler et à faire non de la tête.

« - Je vous en supplie ... je ne suis pas une sorcière ! »

« - Qui a parlé de sorcière, ici ? » fit Hart, feignant la surprise.

« - Je ne suis pas une sorcière ... »

« - Vous répétez beaucoup ce mot pour quelqu’un qui prétend ne pas en être une. Quel démon avez-vous invoqué pour provoquer ce séisme ? Bélial ? Barbatos ? Satan ? »

« - Je suis innocente » dit-elle alors qu’elle tremblait de tous ses os.

« - Est-ce de la peur que je vois ? Où est votre insolence ? »

Mais Éline ne dit plus un mot. Elle semblait figée, comme si elle se concentrait sur ce qu’elle allait subir pour ne pas leur faire le plaisir de crier.

« - Préparez-la ! » fit alors Hart.

Sa voix sonna comme le glas.

Les geôliers vinrent la soulever. Ils lui attachèrent les mains dans le dos et l’amenèrent sous la corde. A cette corde était fixé un crochet avec lequel ils accrochèrent les liens lui liant les mains. Après quoi il lui lièrent les pieds avant de les attacher à la corde cerclant la pierre. Des larmes glissèrent sur les joues d’Éline. A l’autre extrémité de la corde passée dans la poulie du plafond, les geôliers se mirent à trois pour la hisser le plus haut possible. Éline geignit au moment où la traction se fit sur ses bras et une fois encore en sentant le poids de la pierre la tirer vers le sol.
Sa tête cognant le plafond, Éline sut que ça allait vraiment commencer. Les trois hommes la laissèrent tomber. Ils arrêtèrent la corde avant qu’elle ne touche le sol. La tension se répercuta d’un bloc sur ses épaules et ses omoplates. Toute la force du choc se répercuta à cet endroit. Malgré toute sa volonté, Éline ne put s’empêcher de crier tellement la douleur fut vive.
La première fois, elle crut que ses deux épaules s’étaient déboîtées. Mais lorsqu’ils la soulevèrent à nouveau, elle comprit qu’elle n’avait pas eu cette chance. Une fois, deux fois, trois fois. Ils recommencèrent jusqu’à ce que Hart leur signifie d’arrêter. Il avait entendu quelque chose se casser. Il regarda le dos d’Éline et comprit que l’une de ses omoplates s’était finalement fendue.

« - Je dois admettre que votre force de volonté est remarquable. Vous me faîtes penser au roseau qui plie mais ne rompt pas. Vous criez, vous pleurez mais jamais vous n’avouez. C’est un choix discutable car à ce rythme votre corps va vous lâcher avant que je ne puisse sauver votre âme souillée. C’est votre choix néanmoins. Je le respecte et vous dis donc à demain ».

Hart fit signe aux geôliers de la détacher et de la laisser là où elle était. Avec une omoplate fendue, elle ne pourrait faire grand mal.

A partir du quatrième jour, les sévices prirent une tournure bien plus personnelle. Il n’était plus question des événements qui prirent lieu à Arles et Marboz. Dorénavant il était question pour Kieran Hart de châtier celle qui avait blessé son orgueil. Les questions tournèrent principalement sur sa qualité de sorcière et son don d’ubiquité. Éline Collet, ne comprenant toujours pas à quoi l’inquisiteur Hart faisait référence, ne put que nier ses accusations. Ce refus d’avouer lui valut une nouvelle forme de torture. Le premier jour de la question sur Éline, l’inquisiteur avait déjà employé la cure par l’eau. Aujourd’hui il allait faire un autre usage de l’eau. Il était souvent compliqué, dans le cadre de la question, d’amener un accusé à un plan d’eau. Les noyades des sorcières dans un étang en public étaient réservées comme châtiment une fois qu’il ne faisait plus aucun doute que l’accusée en était une. Dans le cadre de la question, rien n’était établi et les simulacres de noyades devaient rester dans un cercle privé. De même, il n’était pas rare qu’il n’y ait pas de baignoire dans les prisons. Ainsi, Hart utilisait une méthode peu ordinaire mais tout aussi efficace.
Il fit placer Éline sur la même et sempiternelle table de torture. Puis il lui plaça sur le visage un linge. Sur ce linge il versa méthodiquement le contenu d’un seau d’eau à vitesse mesurée afin qu’Éline ait la sensation de se noyer. Il recommença cela plusieurs fois et amena l’accusée aux bords de la noyade à plusieurs reprises durant la journée. Bien qu’elle manqua à trois reprises de réellement se noyer, Éline tint bon et n’avoua aucun des mensonges que son tortionnaire voulait lui faire admettre.

Jamais l’inquisiteur n’avait eu affaire à un accusé aussi récalcitrant. Il prenait la résilience d’Éline comme un nouvel affront de sa part, une nouvelle façon de se moquer de lui et de son dévouement à purger les âmes de tous vices. Il se remémora leur rencontre initiale à la taverne et comment elle s’était moquée de lui. Chaque mot qu’elle lui avait adressé fut une cinglante humiliation. Mais la pire de toutes fut de l’avoir appelé "Père Iscariote" ... le patronyme de Judas. Encore allongé sur sa couche, Kieran Hart eut une étincelle dans le regard. Il décida que c’était aujourd’hui qu’elle avouerait. C’est ainsi que ce cinquième jour vit les sévices atteindre leur paroxysme. Il se leva, fit une rapide toilette et rejoignit immédiatement la prison où il surprit Éline en train de dormir sur la table où on l’avait laissée la veille. En guise de réveil, Éline reçut une puissante gifle, la dernière d’une longue liste.

« - Éline Collet ! Aujourd’hui vous allez avouer qui vous êtes réellement ou vous subirez une douleur qui éclipsera toutes celles que vous avez connues depuis ce jour ».

Éline ne dit mot pendant quelques secondes. Son visage était livide et son regard las.

« - Je ne vous ai rien fait ... »

« - C’est bien là le premier de vos mensonges, mon enfant ».

« - Je ne suis pas votre enfant ... Tout comme vous n’êtes pas homme d’église ».

« - Et qui croyez-vous que je suis ? J’ai dédié mon existence à nettoyer les âmes des hérétiques afin qu’elles rejoignent notre Seigneur lors de leur trépas ».

« - Trépas que vous provoquez ... Vous prenez plaisir à torturer les gens ... dans des lieux les plus éloignés possibles de la lumière de votre seigneur ... par crainte qu’il ne voit commettre vos atrocités ... »

« - La seule crainte que j’ai vis-à-vis de notre Seigneur, c’est qu’il ne doive assister à cela, justement. Mais trêve de bavardages. Il n’est plus temps pour des échanges sémantiques ; tout ce que je souhaite entendre maintenant, ce sont vos aveux ! »

Éline garda le silence quelques secondes avant de répondre : « - J’avoue ... »

Le regard du père Hart s’illumina.

« - J’avoue être innocente ! »

Hart fronça des sourcils.

« - Connaissez-vous cet instrument ? » lui fit-il en pointant un objet dans un coin sombre de la pièce.

Éline tourna la tête et observa le dit instrument. Il s’agissait d’une sorte de grand tabouret dont l’assise plate avait été remplacée par une pyramide en bois. Hart demanda aux geôliers d’approcher le tabouret dans la lumière. Éline s’aperçut alors que le bois de la pyramide semblait d’une teinte différente. Il semblait plus ... rouge.

« - Cela s’appelle le berceau de Judas ... d’autres l’appellent la chaise de Judas. Dernière chance pour avouer, après ... vous ferez connaissance avec ce berceau de la façon la plus intime qu’il soit ».

« - Je suis innocente ... » répondit-elle faiblement.

Hart claqua des doigts et les geôliers vinrent détacher Éline de la table. L’instant d’après, ils lui arrachèrent les défroques qu’elle portait encore. Ils lui attachèrent aux chevilles une pierre chacune avant de lui ligoter les poignets et de la soulever par ces derniers. Ils placèrent ensuite le berceau juste sous le bassin d’Éline.

« - Je suis généreux, je vous laisse une dernière chance d’avouer ».

« - Vous n’êtes pas un homme d’église ... même pas un homme tout court ... vous êtes un monstre ... UN DÉMON !!! » cria-t-elle alors que des larmes coulaient de ses yeux.

Froidement, Hart indiqua aux geôliers de commencer. A son ordre, les geôliers relâchèrent la corde qui maintenait Éline en l’air. La pauvre femme atterrit sur la pointe de la pyramide qui pénétra son vagin avec une indicible douleur. Éline ne put s’empêcher de crier de douleur.

« - D-D-Dé ... mon .. » prononça-t-elle douloureusement alors que du sang s’écoulait de son entrecuisse.

Hart fit signe aux geôliers de la hisser à nouveau. La jeune femme se plaignit lors du décollage.

« - Le berceau de Judas ... Il vous laisse trois choix possibles ... Avouer » récita Hart en se faisant craquer l’index avec le pouce.

« - Mourir par empalement » énonça-t-il tout en se faisant craquer le majeur.

« - Mourir par une infection contractée par la perte de sang abondante de vos tissus au contact de ce berceau qui, comme tous ceux que j’ai vus, n’a pas dû être nettoyé depuis sa dernière utilisation » ajouta-t-il en se faisant craquer l’annulaire.

« - Que décidez-vous, Éline ? »

Éline était pendue par les poignets, nue et versant son sang sur le berceau de Judas. Elle souffrait le martyr mais comptait tenir bon jusqu’au bout. Il était hors de question qu’elle se travestisse pour plaire à ce monstre.

« - Vous ... n’êtes qu’un ... cuistre, un ... faquin ... un fot-en-cul ... pédophile ».

Toute convenance avait finalement quitté l’esprit d’Éline qui, sous l’atroce douleur, déversait toute la haine qu’elle éprouvait pour cet homme d’église tant qu’elle le pouvait.

« - Et vous n’êtes qu’une misérable gaupe. Puisque vous semblez apprécier ce berceau, accueillez-le donc à nouveau en vous ! »

A ces mots les geôliers relâchèrent à nouveau Éline sur le berceau. La pointe pénétra à nouveau son vagin mais plus en profondeur encore. Les arrêtes saillantes déchirèrent ses tissus et sa vessie éclata. Éline hurla à la mort durant de longues minutes.

Alors que ses hurlements se muaient progressivement en plaintes, Hart la fit relever une nouvelle fois. Éline eut la sensation qu’on lui arrachait les entrailles. Pendant ces minutes de supplice son sang avait tout juste commencé à coaguler et adhérait au berceau. Une fois encore, Éline hurla. Hart attendit patiemment qu’elle apprivoise cette nouvelle vague de douleurs ... il sembla même se délecter d’observer cet appareil génital féminin ravagé. Cet outil de luxure débridée, cet instrument du mal qui s’insinue dans les esprits des hommes les plus fermes.

« - Si vous ... » commença-t-elle péniblement à prononcer.

Hart tendit l’oreille.

« - Si vous ... êtes ... vraiment ... un ... représentant ... de Dieu ... sur Terre ... alors ... je lui chie ... dessus ».

Éline finit par lui cracher du sang au visage.

Furieux, Hart donna un violent coup de pied sur le berceau pour le faire tomber à la renverse et se déchaîna sur elle en lui pilonnant le ventre de multiples coups de poing. Il adjoignit chacun de ses coups de diverses insultes, toutes plus ou moins synonymes de prostituée. Après plusieurs minutes, il s’arrêta, essoufflé.

« - Cela suffit ! J’ai suffisamment perdu de temps avec vous. Votre âme est irrémédiablement irrécupérable. Je n’ai jamais vu une souillon qui se complait autant dans la fange avec la Bête. Ce soir vous mourrez et la rejoindrez pour une éternité de sévices dans les fosses infernales ».

C’est ainsi qu’au soir de ce cinquième jour, un bûcher fut dressé dans la cour de la prison. Il se résumait à une poutre à laquelle Éline fut attachée ... rhabillée ... comme si Hart connaissait finalement une quelconque forme de honte des sévices qu’il lui avait fait subir. Au pied de cette poutre, furent installer des brindilles et des branches sèches. Mais alors qu’on allait les arroser de poix, comme le voulait la coutume pour accélérer la combustion, Hart fit signe de ne rien en faire.

Le feu y fut mis et Éline se consuma particulièrement lentement. Alors qu’il voulait l’entendre crier, Hart n’entendit aucun son sortir de sa gorge. Éline avait déjà que bien trop souffert et ce bûcher ressemblait plus à une délivrance qu’à une ultime torture. Elle s’en alla dignement, fixant une dernière fois du regard l’inquisiteur Hart droit dans les yeux.

Le funeste spectacle achevé, le directeur de la prison invita le père Hart à partager sa table à l’auberge voisine. Hart refusa poliment et indiqua qu’entre-temps, il avait reçu une nouvelle missive l’invitant à se rendre à Agen au sujet d’un certains Jean-Claude accusé de blasphème également.
Après avoir réuni ses modestes affaires, Kieran Hart reprit la route. Bien que cette catin n’eut pas crier sur son bûcher, il repartait avec le sentiment du devoir accompli.

La nuit qui suivit, le vit arriver en vue de Montbrison. Il décida de s’arrêter, toujours accompagné des deux Croisés, dans une taverne qui ne payait pas de mine. Le nom sur la pancarte branlante était partiellement effacé mais l’on pouvait encore le distinguer : le Lièvre au collet. En général, Hart ne se souciait guère des noms assignés à ce genre d’établissement. Ils étaient tous plus ou moins ridicules et inutiles. Hart y pénétra donc sans prendre la peine de déchiffrer la pancarte.

De l’extérieur, la taverne semblait des plus calmes. Quel ne fut pas le contraste lorsque Hart s’aperçut qu’elle était bondée de petites gens plus bruyantes les unes que les autres. Ce dernier fit signe à l’un des deux Croisés d’aller commander un pichet de bière. Pendant ce temps, Hart et le second Croisé partirent s’asseoir à la seule table encore inoccupée.

Après que le premier Croisé revint avec un lourd pichet de bière et s’assit avec eux, Hart se servit et but immédiatement une première gorgée. Presque immédiatement, il fut pris d’un léger tournis. Sa vision devint rapidement floue et le bruit de la populace sembla s’assourdir jusqu’à ce qu’il ne voit ni n’entende plus rien.
Quelques secondes plus tard, sa vision sembla redevenir nette. Machinalement, il jeta un coup d’œil à ses compagnons et fut surpris de ne pas les voir à ses côtés. Il regarda autour de lui et constata que toute la clientèle semblait s’être évaporée à l’exception de trois silhouettes. Des trois, il en reconnut immédiatement deux : les deux Croisés qui étaient sensés l’accompagner s’étaient tous les deux déplacés à deux tables éloignées l’une de l’autre. Ils ne semblaient pas s’apercevoir qu’il n’y avait plus personne dans la taverne.

C’est alors que la troisième silhouette, l’inconnue, se leva bruyamment en ne soulevant pas sa chaise. Hart porta toute son attention sur elle. Il s’agissait d’un homme blanc et grand portant sur ses épaules une sorte d’houppelande faite de cuir rapiécé. Ce vêtement sembla rappeler à l’inquisiteur un quelconque souvenir fugace sur lequel il ne parvenait plus à mettre la main. Debout, l’inconnu vint droit sur Hart et s’assit face à lui sans lui demander la permission.

« - Tu as été particulièrement vicieux avec cette femme, Kieran. Peu t’importait finalement qu’elle soit innocente, n’est-ce pas ? »

« - Pardon ? » fit Hart, interloqué.

C’est alors que l’inquisiteur vit quelque chose brillé autour du cou de l’étranger. Une chaînette à laquelle pendait un pendentif minéral. Une goutte faite de quartz et d’améthyste. Soudain l’inconnu sembla changer de forme et prit les traits d’Éline Collet. Qu’était-ce que cette sorcellerie ? Était-ce des remords qui le tiraillaient soudainement pour lui faire voir la jeune femme ou était-ce quelque chose versé dans ce pichet de bière qui le faisait halluciner ? Jamais il n’avait éprouvé de remords de toute sa vie pour avoir accompli son devoir et aujourd’hui pas plus qu’hier il n’en éprouvait. Il regarda alors le fond de sa pinte dans laquelle résidait encore bonne quantité de bière.

« - Tu n’as pas été drogué, Père Iscariote » fit la femme face à lui.

Car c’était bien une femme qui se tenait face à lui maintenant.

« - Qu’est-ce que ... ? Je t’ai vu mourir ... »

« - Brûlée, oui ... mais c’en était une autre ».

La peau de la femme face à Hart s’assombrit et ses traits se masculinisèrent à nouveau pour prendre l’apparence d’un Maure.

« - Vois-tu, Hart-sans-cœur, je peux prendre l’apparence que je désire ».

« - Un mot de ma part et mes hommes viendront t’embrocher vivant ».

« - Je ne le pense pas. Vois-tu, ils pensent sincèrement tous les deux boire en ta compagnie et n’entendent rien de ce qui se passe à cette table ».

C’est alors que le Maure changea à nouveau d’apparence et prit une apparence plus juvénile. Celle d’un garçonnet blanc approchant de l’âge adulte. Après quelques secondes, Hart finit par le reconnaître. Il s’agissait du jeune commis du directeur de la prison, celui qui prenait les notes de l’interrogatoire d’Éline Collet.

« - Tu étais là tout ce temps ? » fit, stupéfait, Hart.

« - Ouiiii ... Et j’ai assisté à tout. A la moindre goutte de sang versée par Éline, au moindre frisson de plaisir que tu as connu en la voyant malmenée ».

« - Mon dieu, mais qu’est-ce que tu es ? »

« - Ce que tu redoutes le plus ! »

« - ... Une sorcière ? »

« - Ha ha ha ha ! Tu n’es pas très honnête, mon petit inquisiteur. Je ne suis pas une sorcière ... je suis bien pire que ça ... Je suis ton destin ... ton Châtiment ! »

Kieran Hart, membre de l’Église, Inquisiteur de son état, se mit à trembler de tout son être pendant plusieurs longues secondes. Une terreur effroyable lui étreignait le cœur comme si l’être face à lui avait plongé sa main droit dans sa poitrine. Au bout de quelques minutes, il finit par se calmer, par se résigner. Il fit un signe de croix et fit une rapide prière : « - Requiem æternam dona ei, Domine. Et lux perpetua lucea ei: Requiescat in pace. Amen ».

« - Je suis le Père Kieran Hart de la Sainte Église de la Croix Immaculée. Puis-je connaître le nom de celui qui va prendre ma vie ? »

Le commis face à lui reprit les traits d’Éline Collet.

« - Tu peux m’appeler Légion, car nous sommes nombreux ! »

Les yeux de Légion s’illuminèrent d’une lumière rouge incandescente. Les pans de son houppelande s’élevèrent comme de gigantesques ailes de cuir et semblèrent embrasser toute la taverne comme si elles se répandaient sur les murs. D’innombrables pièces de cuir composaient ses ailes. Du cuir fait de différentes teintes comme provenant d’autant de sources différentes. Bien que tétanisé par cette apparition, Hart finit par remarquer quelque chose d’encore plus terrifiant. Sur chacune de ces pièces se tordaient des foultitudes de visages humains. Progressivement, le silence de la taverne s’effaça sous les cris, les pleurs, les suppliques de ces âmes piégées. Elles exprimaient à elles toutes un éventail complet du spectre émotionnel humain, de la fureur la plus aveugle à la tristesse sans fond en passant par la léthargie totale. Elles vociféraient une cacophonie assourdissante.
Les ailes finirent par recouvrir l’intégralité des murs de la taverne, du sol au plafond, si bien que Hart était dorénavant enfermé à l’intérieur. Mais n’était-il pas enfermé à l’intérieur depuis son entrée dans cette "taverne" ? L’esprit de Hart commença à divaguer dangereusement sur les rives de la folie. Avait-il été de même il y a cinq nuits de là, la première fois qu’ils s’étaient rencontrés ? En était-il ressorti cette nuit là ou était-il resté tout ce temps dans les plis de la houppelande impie de Légion ? Éline Collet avait-elle était réelle ? Méritait-elle les sévices qu’il lui avait fait endurer ? Au fond de son âme, il connaissait la réponse. La seule et unique raison de l’avoir torturée comme il l’avait fait était l’échange initial qu’il avait eu avec Légion, autrement rien ne permettait de s’assurer qu’Éline Collet était une sorcière. Rien ne permettait non plus de s’assurer à coup sûr de la culpabilité de toutes les âmes qu’il avait soumises à la question préalablement. Mais cela ne l’avait jamais empêché de dormir jusque-là. ... Aurait-il jamais plus l’occasion de dormir après ce soir ?

Une vive douleur le tira de sa torpeur. Une douleur qui prit naissance entre ses omoplates et courut le long de sa colonne vertébrale. Elle était si intense qu’il se raidit sans pouvoir bouger. Il aurait pu jurer tous ses saints qu’on lui entaillait le dos profondément. Mais la réalité était bien plus sinistre que cela. Face à lui, Légion dressa lentement le bras et approcha une main griffue de son visage. C’était une main cauchemardesque mais cela, Kieran ne put s’en soucier. La douleur le tiraillait intensément. Sa peau semblait s’ouvrir partout sur son corps. Par quelque procédé que ce soit, Légion tirait sur sa peau centimètre par centimètre dans une douleur indicible qui ne tarda pas à faire hurler l’inquisiteur Hart. Légion prit tout son temps. Il fit durer le supplice au maximum tandis qu’il dépeçait le pêcheur face à lui. Extirpant sa peau pour en faire une nouvelle pièce de cuir, il lui arrachait l’âme comme on sarclait les mauvaises herbes.

Le supplice charnel de Hart dura près d’une heure. Une seule et unique heure. Qu’était-ce une heure face aux tourments interminables qu’il avait fait endurer à autrui durant toute sa vie ? Ce n’était rien ! Tandis que les ailes de Légion reprenaient la taille et la forme d’une houppelande, ne laissant face à lui plus qu’un corps écorché et sans vie, commençait le supplice éternel et spirituel de Kieran Hart. Le visage de l’inquisiteur avait rejoint la collection de Légion. Il était entouré de tous ceux avant lui que Légion avait collecté et qui criaient, pleuraient ou se lamentaient. Bientôt Hart deviendrait complètement fou et choisirait son camp parmi la foultitude.
_____________

30 avril 1945 - Berlin - Führerbunker - 14h30

Tandis que la fureur d’une guerre sanglante et effroyable frappait aux portes de Berlin, un couple, un homme à l’allure austère et malfaisante, et une femme apprêtée et manifestement dépressive, se retirèrent dans leur appartement privé au niveau le plus bas d’un gigantesque bunker. Ils pénètrent dans un salon richement décoré et ostentatoire où ils s’apprêtaient à passer leurs dernières heures. Tout avait été mûrement réfléchi. Toutes les dispositions avaient été prises pour disposer de leur dépouille. Mais c’était sans compter sur la présence d’un individu qui semblait les attendre depuis fort longtemps.

« - Guttentag ! Tu as été particulièrement retord et cruel, mein kleiner Adolf ! »
_____________

Note : La numérotation de la Terre 577 n’a pas été choisie au hasard. En effet c’est l’une des Terres les plus proches de la Terre 576 où se déroule l’arc narratif « un Monde selon Hitler ».
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Babel Horror Show 2023 :: Commentaires

Shion
Re: Babel Horror Show 2023
Message Mar 31 Oct - 17:26 par Shion
Pauvre Eline

Un bien gros enfoiré, ce curé, il a eu ce qu'il méritait.

Je n'ai pas vu venir la fin avec le rapprochement du monde selon Hitler ^^

Sympa ce petit chapitre Halloween, j'ai pu le lire à temps !
 

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