Terre 6354 - Aubonne - Il y a onze jours

Levant les yeux au ciel, le vampire savait déjà ce qu’il n’allait pas tarder à voir de ses propres yeux : des centaines de bombes, ou plutôt des containers ressemblant à des bombes et renfermant les embryons des prédateurs popcorn, comme les avait appelés Miles. Des créatures plus sauvages et dangereuses encore que les charognards que le Mastercorps avait précédemment lâchés. Jeremiah ne savait pas combien de temps il pouvait encore tirer sur la corde sans que son hôte ne veuille prendre le contrôle. Ce qu’il savait en revanche c’est qu’ils ne devaient pas rester là pour le découvrir à leurs dépens.

« - ON SE REPLIE ! » cria-t-il pour sortir ses compagnons de leur torpeur.

Le vampire s’élança, suivi de Blanche. Derrière eux, Sandora avait du mal à suivre, elle était trop épuisée. Blanche s’en rendit compte et s’arrêta pour l’observer avant d’aller à sa rencontre. Ce fut au tour de Jeremiah de s’arrêter en se rendant compte de l’action de Blanche. Celle-ci prit Sandora sous le bras et la força à courir plus vite tout en la soutenant. Arrivées à sa hauteur, Jeremiah prit la sirène sous l’autre bras et tous trois se mirent à courir.

« - JOHNSON ! VIENS !! » cria la vampire une nouvelle fois sans se retourner.

Mais le colosse ne les suivit pas. Il regarda alternativement le trio s’éloigner et les bombes chuter. Bien que fatigué, le colosse semblait galvanisé. Il arracha le corps sans vie de son siamois artificiel et commença à taper du pied au sol, créant des explosions de plus en plus puissantes au point qu’il commençait à décoller. A chaque atterrissage, l’explosion qui en résultait était plus puissante et le renvoyait plus haut encore. Au dernier bond, Johnson hurla son nom en allant à la rencontre de la première bombe. D’un surpuissant crochet, accompagné d’une explosion encore plus dévastatrice, il détruisit la première bombe. L’explosion le propulsa vers une seconde bombe. Il enchaîna ainsi les bonds de bombe en bombe au prix de sa propre santé. A mesure des explosions, son épiderme, ses chairs semblaient se consumer. Les rares fois où il avait poussé son pouvoir à ces extrémités, il en avait payé le prix physiquement. Il s’était alors arrêté de lui-même par instinct de survie. Mais aujourd’hui, sa volonté surpassait de loin son instinct. Il était libre du persécuteur et esclavagiste qu’on lui avait greffé. Jamais il ne saurait comment remercier celui qui l’avait libéré. La moindre des choses était donc de le protéger lui et ceux qui lui étaient chers.
Son corps ravagé par les explosions, Johnson effectua un dernier bond avant de partir dans une explosion sans commune pareille. Une explosion telle qui pulvérisa toutes les bombes biologiques du ciel dans un rayon de 5 km. L’explosion fut si puissante qu’un phénomène semblable à un champignon atomique apparut au dessus d’Aubonne.

Le trio n’eut pas le temps de se mettre à l’abri que le souffle les rattrapa. Ce n’était bien évidemment pas la volonté de Johnson. Sa simplicité d’esprit n’avait point pensé aux répercussions que pouvait occasionner une explosion aussi dévastatrice, même en plein ciel.

Le trio fut donc rabattu au sol et couvert de divers débris et poussières. Une fois l’effet de souffle dissipé, ce fut Blanche qui se releva la première. Elle regarda autour d’elle mais tout ce qu’elle vit n’était que dévastation.

« - Papa ? PAPA !!! » se mit-elle à hurler.

Quelque chose bougea alors sous les débris avant qu’une silhouette ne se relève.

« - Ça va ! » fit le vampire.

Tous deux cherchèrent ensuite Sandora et la trouvèrent assez rapidement. Il la déterrèrent sans difficultés. La jeune femme était éreintée mais ça pouvait aller. Au loin, des jappements se firent entendre. Johnson leur avait épargné d’être immédiatement harcelés par ces créatures en les pulvérisant dans un périmètre immédiat mais des foultitudes de ces bombes biologiques étaient tombées du ciel partout autour d’eux. La menace n’était pas écartée, juste un peu éloignée. A en entendre les cris, l’équivalent d’une horde se rapprochait d’eux.

« - Il faut qu’on y aille » fit le vampire.

A nouveau Blanche et lui prirent Sandora sous les bras et l’aidèrent à courir aussi vite que possible.
Quelques minutes plus tard, alors que les jappements s’étaient rapprochés d’eux, ils arrivèrent enfin en vue du lac Léman. Regardant derrière eux, Jeremiah sut qu’ils n’y arriveraient jamais avant que les prédateurs ne soient sur eux. Déjà, il apercevait les premières silhouettes débouler dans la rue derrière eux. Il les fit s’arrêter un instant et lâcha Sandora.

« - Cours jusqu’au lac, je vais les retenir ! » dit-il

« - Tu vas y arriver ? » fit Blanche, inquiète.

« - J’ai des réserves ! » fit-il en lui adressant un sourire.

Blanche savait de quoi il parlait. Malgré cela, elle recommença à courir avec Sandora. Dans son dos, la température de l’air autour du vampire baissait drastiquement au point de voir des cristaux de glace scintiller autour de lui.

Blanche savait quelle technique son père adoptif allait utiliser. Il l’avait créée spécialement pour son entraînement ... mais quelque chose lui disait qu’il allait l’utiliser à un niveau autrement plus mortel. Le regard brasillant de bleu, les pieds comme plantés dans le sol, Jeremiah se tenait prêt à recevoir les prédateurs popcorn. Dans quelques secondes, la meute de créatures serait à la distance optimale.

En un instant, les cristaux de glace l’entourant se transformèrent en autant de pieux de glace qu’il envoya avec célérité sur les monstres. La première vague fut criblée de glace, transpercée de part en part. Mais déjà un second groupe arrivait d’une autre rue. Le vampire se déplaça face à eux comme glissant sur le sol. Et à nouveau, il créa un déluge de glace qu’il abattit sur la horde. Mais il n’avait pas fini de l’anéantir que déjà un troisième et un quatrième groupe pointaient leurs museaux. Pour le moment, le vampire n’était pas débordé, pas encore, surtout qu’il était capable de la modifier lorsqu’il n’était plus en mesure, comme maintenant, de cibler précisément ses cibles. Il n’avait pas voulu le faire contre sa fille lors de son entraînement car elle présentait l’avantage d’être beaucoup plus imprévisible.
Tendant ses bras en direction des deux rues envahies de monstres, Jeremiah lança de nouvelles salves de pieux de glace. Il balaya chacune d’entre elles avec l’effet escompté. Les pieux qui ne se fichaient pas dans un des monstres éclataient contre les maisons et le bitume des rues en de multiples shrapnels qui ne laissaient aucune chance aux créatures déboulant de la façon la plus chaotique possible.

Satisfait du carnage qu’il venait de faire, Jeremiah allait s’autoriser une seconde de répit pour souffler lorsqu’il entendit le son d’une autre cavalcade, celui d’un cinquième groupe, dans son dos. Quelle stupeur de le voir rattraper Blanche et Sandora.

Le sang du vampire ne fit qu’un tour. Puisant toujours plus dans ses réserves, il s’envola en trombe en direction du lac. A mesure qu’il fonçait, son corps s’entoura de glace et bientôt une armure se dessina autour de son corps. Rattrapant ce cinquième groupe, il fondit droit sur lui et traversa la horde. Les prédateurs popcorn n’eurent pas le temps de crier qu’ils furent congelés sur place. Jeremiah s’arrêta à quelques mètres des deux jeunes femmes et couvrit leurs arrières jusqu’à ce qu’elles atteignent le lac. Au contact de l’eau, Sandora sembla se revigorer tandis que Blanche récupérait son attirail. Alors qu’elle entrait dans l’eau à contrecœur, ils virent d’autres hordes arriver au lac. Étrangement, les prédateurs semblaient ignorer toute autre chose que le lac. Sur l’autre rive, c’était la même chose, les prédateurs popcorn se précipitaient vers le lac. Plongeant dans l’eau, les créatures entrèrent dans une folle frénésie, se battant entre elles et teintant le lac de leur sang verdâtre.

Jeremiah n’en crut pas ses yeux. Les prédateurs encore en vie semblaient grandir petit à petit tout en ne cessant pas de se battre entre eux. Ces créatures, ces prédateurs popcorn, étaient le résultat de recherches en bioingénierie et le fruit de manipulations génétiques. Empruntant aux plantes un système proche de la photosynthèse, cela leur permettait de se développer rapidement à leur éclosion en profitant du rayonnement solaire aussi faible soit-il. Leur soif de sang était également dictée par leur besoin à trouver une source d’eau et de minéraux, une soif exacerbée au possible. Tant est qu’en sentant l’humidité d’un lac à proximité, elles se ruaient dessus sans retenue ... et comme toute plante, elles grandissaient en se nourrissant.

« - ON PLONGE ! » cria Jeremiah, comprenant vaguement ce qu’il se passait.

Le vampire laissa son armure de glace s’effriter à mesure qu’ils plongeaient. Derrière lui, il traînait toujours la bulle télékinésique qui renfermait tous les vivres qu’ils avaient pu glaner. Ils parvinrent au tunnel de glace et débouchèrent dans la grotte.

« - Bon sang ! C’est quoi ces saletés ? » fit Sandora.

« - C’est moi où elles grossissaient au contact de l’eau ? » demanda Blanche.

« - C’est l’impression que j’ai eue aussi. Ces créatures, ces prédateurs popcorn, à défaut d’autres noms, n’avaient pas présenté ce genre d’aspect la première fois qu’on les as vus » répondit Jeremiah.

« - Comment ça la "première fois" » releva Sandora.

Le vampire se figea ; il s’était trahi dans la précipitation. Soudain, il ressentit une sensation singulière. Sa connexion avec ses camarades s’était interrompue ; ils avaient quitté cette dimension. Plus personne ne pouvait dorénavant influer sur leur futur. Jeremiah regarda à nouveau Sandora.

« - C’est compliqué à expliquer, mais je viens du futur. Je ne pouvais pas trop t’en dire sous peine que tu changes ce qui devait arriver ».

Sandora resta sans réaction durant quelques secondes avant qu’elle ne prononce un « - Quoi ? »

« - Frédéric, Miles, Isaac, Wade et mon moi passé étaient revenus de l’Univers 8809. Ils sont dorénavant repartis vers l’Univers 9105 où ils découvriront les coordonnées de la Grande Bibliothèque. Une fois découvertes, nous avons été séparés et dispersés à travers les dimensions ... et le temps pour ma part ».

« - Attends, attends ... Quoi ? »

« - Lorsque nous avons été séparés, je me suis retrouvé sur une Terre archaïque ... bien avant ma naissance et celle de l’humanité comme on la connait aujourd’hui. Après moult pérégrinations, je suis parvenu à revenir à notre époque, à quelques années près. J’en ai profité pour entraîner ma fille Blanche et j’ai attendu ce jour fatidique où je pourrais revenir à l’Unicorps sans craindre de modifier le continuum temporel. Mais pour cela je devais me tenir à l’écart de mon moi passé et empêcher quiconque avec qui j’entrerais en contact de le faire également. Les coordonnées de la Grande Bibliothèque sont trop importantes pour que leur découverte soit compromise ».

« - Et l’Unicorps alors ? T’en as rien à faire que la population de cette planète se fasse massacrer ? T’aurais pu empêcher cette invasion » se révolta Sandora.

« - Voilà précisément pourquoi j’ai dû te mentir ; tu ne comprends pas. Ce massacre s’est déjà passé. Lorsque nous sommes revenus de l’Univers 8809, il avait déjà eu lieu. Il devait avoir lieu ».

Sur ce Sandora le gifla.

« - IL DEVAIT AVOIR LIEU ? COMMENT PEUX-TU DIRE CA ? »

Jeremiah retourna la tête vers elle, s’attendant presque à ce qu’elle le gifle à nouveau.

« - J’ai voyagé dans le temps ! J’ai interféré avec l’histoire, avec mon histoire, parce que je l’avais déjà fait ! Certains moments de ma vie d’enfant et d’adulte se sont déroulés ainsi parce que mon moi futur était déjà intervenu sans que je le sache à l’époque. Lorsque nous sommes revenus de l’Univers 8809, le massacre avait déjà eu lieu parce que mon moi futur n’était pas intervenu. Si j’étais intervenu lorsque je suis venu à toi, ou même avant, l’histoire n’aurait pas été la même. Nous n’aurions pas été éjectés brutalement de cette dimension vers l’Univers 9105. Frédéric ne se serait pas déchainé là-bas, furieux de n’avoir pas pu te retrouver. Nous n’aurions pas rencontré la chasseuse de prime Samus Aran et n’aurions pas été en mesure de localiser les reliques Chozo. Nous n’aurions pas été séparés, je n’aurai pas pu secourir Blanche dans le passé et elle n’aurait pas pu te sauver en revenant ici ».

« - Je ... C’est trop ... Je ... ».

Sandora ne savait pas quoi dire, ni comment réagir face à tout cela.

« - Crois-moi, cela n’a pas été une décision facile à prendre pour moi ».

« - Frédéric a voulu me retrouver ? » fit Sandora, presque absente.

« - Plutôt oui ! Et je suis sûr qu’il reviendra ici dès qu’il en aura la possibilité ! »

« - C’est à dire ? »

« - Ils vont passer près d’une semaine dans l’Univers 9105, après ... nos parcours divergent et je ne sais pas ce qui leur est arrivé ».

« - Sept jours ... » fit pensivement Sandora.

Sept jours, une semaine ... interminable. Les prédateurs popcorn ne cessèrent leurs ablutions, polluant l’eau du lac Léman de leur sang et entrailles. Au bout de trois jours, l’eau du lac était devenue entièrement verte. Le quatrième jour, toute la faune et la flore aquatiques étaient mortes. Le cinquième jour, l’eau était tellement saturée de matière toxique que même Sandora ne pouvait plus se risquer à y nager, sous peine de ressentir d’intenses brûlures, un peu comme si le lac était en feu. Les réserves de nourritures diminuaient à vue d’œil maintenant que deux personnes les consommaient. Même en se rationnant, ils tiendraient difficilement le reste de la semaine, sans parler de l’oxygène.

A l’aube du sixième jour, ils virent le niveau de l’eau reculer. Que se passait-il ? Au septième jour, ils s’enfoncèrent dans le tunnel de glace à pied et en ressortirent à l’air libre. Le lac Léman n’était plus que de l’historie ancienne. Ce n’était rien de plus qu’un étang, une flaque ridicule. Les prédateurs popcorn l’avaient asséché ... ou plutôt LE prédateur popcorn. Il n’en restait plus qu’un ... mais il faisait dorénavant la taille d’un building.
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A suivre dans le chapitre 452 : Noyau de sang !