Terre 6354 - Aujourd’hui

Après son coup d’éclat, Jeremiah s’était senti complètement vidé. C’était la première fois que l’arme de son cavalier prenait sa forme ultime et il n’avait pas su la juguler suffisamment. Celle-ci avait puisé toute la puissance que le vampire avait en lui et l’avait pour ainsi dire drainé de toute énergie. Une fois la flèche tirée, Jeremiah avait tout juste eu le temps de contempler la puissance de son attaque avant de sombrer dans un sommeil proche du coma. S’il avait été encore vivant, son énergie vitale y serait passée intégralement.

Ce coma dura près de trois heures. Trois heures durant lesquelles ceux qui l’entouraient ne restèrent pas là à ne rien faire. Membre de l’Unicorps depuis de nombreuses années, Hector connaissait ses installations par cœur et il les mena à l’annexe la plus proche d’Aubonne : Lyon ! Celle-ci était un véritable bastion juché sur les hauteurs de la colline de la Croix-Rousse, faisant face à la colline de Fourvière dont elle était séparée par un défilé rocheux. La ville en elle-même était entourée de plusieurs massifs montagneux, le Massif Central à l’ouest et les Alpes à l’est. De nombreuses vigies y avaient été dressées pour prévenir de toute attaque. C’est ce qui avait permis à l’annexe de l’Unicorps de sonner l’alerte et de donner assez de temps aux lyonnais pour y trouver refuge avant qu’elle ne soit complètement scellée, en autarcie parfaite. Bien évidemment, tout complexe de cette taille possédait quelques menus passages souterrains pour sortir ou entrer en toute discrétion. Autrefois haut gradé, avant son accident, en tant que tel Hector connaissait au moins un passage secret de chacune des annexes par delà le globe.

A peine arrivés à l’intérieur de la place forte, Jeremiah revint à lui, juste à temps pour faire connaissance avec les gardes de l’annexe et prendre connaissance des lieux. Ils manquèrent de peu la dernière communication que l’annexe eut avec le colonel Westwood, celui-ci ignorant alors qu’Hector n’était plus M.I.A.. Néanmoins Hector se portant garant de tous ceux qui l’accompagnaient, Jeremiah apprit quelle était leur situation dans les moindres détails. Westwood avait récupéré Wormcell, ou plutôt c’était lui qui l’avait récupéré lorsque Summers l’avait laissé pour mort, un bras en moins. Redevenu opérationnel, il s’était servi des capacités de la perversion pour évacuer les réfugiés de l’annexe de Riyad vers leur site B. La tentative s’était soldée par un résultat mitigé. Une très grande majorité des réfugiés avait pu être évacuée mais l’ouverture du portail de Wormcell avait attiré l’attention du Mastercorps qui s’était alors abattu sur l’annexe et l’avait complètement détruite.
Autant dire que par la suite, les déplacements de Wormcell furent mesurés et pas sans le couvert d’un sort de dissimulation de la part de Stephen qui avait rejoint Westwood entre-temps. De plus le commando de ce dernier avait un objectif prioritaire à remplir avant de penser à évacuer le reste des civils. Le colonel n’avait pas communiqué à ce sujet hormis l’échelon d’importance de cet objectif. Échelon qui avait suffi de lui-même pour empêcher toute protestation possible.

Tant que Westwood n’aurait pas trouvé un plan, toute communication était suspendue afin de ne pas être espionné par l’ennemi.

La forteresse de l’annexe de Lyon était telle qu’elle rassurait les réfugiés qui s’estimaient parfaitement à l’abri. Pourtant les membres de l’Unicorps savaient que ses défenses ne suffiraient pas si le Mastercorps devait s’y intéresser sérieusement, tout comme les défenses de l’annexe de Riyad n’avaient pas suffi. Bien sûr, Lyon était constamment harcelée par diverses meutes de charognards ou de prédateurs popcorn mais jusqu’à présent rien de bien sérieux que les tourelles automatiques n’avaient pu repousser.

Jeremiah, Blanche et Sandora restèrent dans l’expectative durant près de trois jours. Sandora aida les blessés légers et superficiels avec ses chants curatifs, tandis que Jeremiah aida à créer une nouvelle chambre froide dans une pièce qui n’était pas prévue pour cet usage à la base. En effet, les premières expéditions hors de la forteresse s’étaient avérées plus fructueuses que prévu en tombant sur un semi-remorque de ravitaillement presque en face de la sortie d’un des passages secrets. Quant à Blanche, n’ayant aucune capacité particulière qui pourrait aider autrui, elle s’occupa en explorant toutes les sections de la forteresse accessibles au public ... et celles qui ne l’étaient pas également.

C’est ainsi que trois jours après leur arrivée à Lyon, Blanche avait trouvé un accès à la salle de commande via les conduites d’aération. Quitte à s’ennuyer, autant qu’elle le fasse en se tenant au courant de tout ce qui pouvait l’être. Elle entendit alors un message audio enregistré arriver au centre de commande sur une fréquence cryptée.

« - Frédéric Vaubois retrouvé ! Opération Sandstorm lancée ! »

Frédéric Vaubois, Blanche connaissait ce nom. Son père en parlait très souvent dans ses récits d’aventure, c’était l’un de ses compagnons.
Immédiatement, elle quitta son poste d’espionnage et cavala à travers les conduites d’aération jusqu’à atteindre le couloir à partir duquel elle pénétrait la conduite sans se faire repérer. A la suite de quoi ce fut dans les couloirs qu’elle cavala, bouscula quelques employés de la forteresse au passage, pour enfin parvenir au logement qui lui était réservé ainsi qu’à son père.

« - PÈRE ! FRÉDÉRIC EST ARRIVÉ ! » s’écria-t-elle.

Assis en tailleur sur sa couchette, les yeux clos, le vampire ne prit pas la peine d’en ouvrir ne serait-ce qu’un.

« - C’est donc lui » répondit-il, en souriant.

C’est alors que Sandora fit irruption dans leur chambre.

« - Frédéric est ici ? » fit-elle.

La sirène connaissait un mélange de sentiments pas forcément tous concordants.
Jeremiah ouvrit alors les yeux et se releva.

« - Il n’est pas à Lyon mais il est de retour dans cette dimension. J’ai capté l’arrivée de l’un des nôtres il y a plusieurs heures de cela. Depuis j’ai du mal à le localiser précisément, c’est comme s’il voyageait par téléportation. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait de Miles ... étrange ».

« - Tu es capable de sentir notre présence ? » fit Sandora, interloquée.

« - Pfff ! » ne put s’empêcher d’échapper Blanche.

« - Blanche ... J’ai appris à me concentrer suffisamment pour ressentir la présence d’essence de cavalier » répondit le vampire.

« - Donc si je m’égare, tu seras incapables de me retrouver ? »

« - A moins que tu ne saignes, non ».

« - Et sinon, qu’est-ce qu’on fait ? » demanda Blanche, impatiente de faire la connaissance de ce fameux Frédéric.

« - On va attendre qu’ils se stabilisent. A ce moment, je pourrais me risquer d’ouvrir l’antre pour les rejoindre ».

A ces mots, Jeremiah se retourna vers sa table de nuit, prit la poche de sang dans laquelle il avait planté une paille et en but une petite gorgée. Après quoi, il se rassit sur son lit et ferma les yeux pour se concentrer à nouveau.
Blanche s’installa dans un coin de la pièce et aiguisa ses épées avec des pierres à aiguiser tandis que Sandora retournait dans sa chambre en se demandant comment réagir quand elle sera face à Frédéric. Elle recommençait à douter comme elle l’avait fait avant que le Mastercorps n’envahisse cette planète.

Plusieurs heures passèrent à nouveau avant que Jeremiah ne ressente l’arrivée d’un autre cavalier. Était-ce Miles ou Wade ? Il n’en savait trop rien. Le dernier venu s’était déplacé extrêmement rapidement. Cela pourrait très bien être Miles mais le fait qu’il se déplace jusqu’à Frédéric du premier coup tendrait plutôt à ce que ce soit Wade. Après tout, lui aussi était capable d’ouvrir l’antre. Il ne restait donc plus que Miles.
Il ne dit rien pour le moment quant à l’arrivée de Wade ; cela n’était pas utile pour le moment ... Surtout qu’il sentait chez Wade la présence de son cavalier de façon bien plus intense que Frédéric à cet instant. Il se souvint alors de la sensation qu’il avait eue lorsque Frédéric était arrivé. Il avait ressenti la présence du cavalier en lui encore plus intensément que chez Wade maintenant ... comme si son cavalier s’était pleinement éveillé.

A peine une heure plus tard, le vampire sentit que tous deux se déplaçaient à nouveau instantanément sur une très grande distance. Ils étaient revenus là où Frédéric s’était immobilisé la dernière fois. C’était sûrement le moment idéal pour les rejoindre.
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Q.G. de la Force de Frappe Suicide

A peine de retour au Q.G., Westwood laissa le petit groupe pour consigner son rapport sur l’opération. Bien que l’objectif de la mission eut été atteint, il était difficile de la considérer comme une réussite en regard des pertes subies. Des hommes et des femmes de valeur qui avaient donné leurs vies pour libérer deux divinités de leur emprisonnement. Des hommes et des femmes qui assuraient la sécurité de ce Q.G. ; Q.G. qui se retrouvait donc désormais en situation encore plus précaire qu’auparavant. Tout cela le colonel l’avait à l’esprit en s’isolant dans un simulacre de bureau.

Le Giaz du Mastercorps s’éloignait pour ramener Wormcell dans la cellule qui lui avait été dédiée. Bien que tenu en laisse, ou plutôt en chaîne, le pauvre être aurait pu s’échapper depuis fort longtemps s’il l’avait voulu. La chaîne avec laquelle ses nouveaux maître pensaient le maîtriser n’avait pas les capacités coercitives que celle qu’utilisaient ses anciens maîtres. De même, la cellule dans laquelle il se retrouvait maintenant était un véritable palace comparé à la niche à laquelle il avait droit dans les bons jours de ses anciens tortionnaires.

Le Giaz de l’Unicorps, quant à lui, n’ayant aucune obligation martiale, sortit subrepticement en quête de pitance après avoir salivé devant Hive.

Ne restaient donc plus que Wade, Frédéric et Milla.

« - Alors qu’est-ce qu’on fait les hommes ? » lança Milla.

Toujours mal à l’aise en présence de la jeune femme qui accompagnait dorénavant Frédéric, Wade s’éloigna d’eux sans dire un mot ni même les regarder, plus antisocial que jamais.

« - Ooookay ! Ne reste plus que nous deux alors ! Je vais prendre une douche ... tu me rejoins ? » fit la jeune femme en adressant un léger coup de coude à Frédéric.

« - Je dois parler un peu avec Wade, et je te rej... »

Mais Frédéric ne finit pas sa phrase en voyant l’antre des vers s’ouvrir au beau milieu du hangar. Son sourire se figea en reconnaissant la silhouette de Sandora. Il prononça son nom à voix basse.

Sortant de l’antre, Sandora ressentit un mélange d’émotions en voyant Frédéric sourire à une autre femme de façon sans équivoque. Était-elle furieuse à l’idée qu’il la trompe avec elle ? Était-elle jalouse de la complicité qu’ils semblaient afficher ? Ou était-elle soulagée qu’une autre ait pris son fardeau ?

Bien qu’il soit avec Milla, il n’avait pas oublié Sandora. Il ne l’avait pas oublié un seul instant depuis qu’il avait retrouvé la mémoire. Après tout, il était revenu ici pour elle, pour la sauver. Semble-t-il que le rôle de sauveur fut finalement endossé par Jeremiah qui sortait à son tour de l’antre, accompagné d’une jeune femme inconnue et de Hector. Manifestement, Jeremiah et Wade savaient qu’il reviendrait dans cette dimension pour elle.
Maintenant qu’elle n’était plus en danger immédiat, il allait devoir s’expliquer. C’était un devoir auquel il ne comptait pas se soustraire par honnêteté, par respect envers Sandora. Et le plus tôt serait le mieux.

L’antre finit par se refermer d’elle-même une fois les quatre passagers sortis. Frédéric fut le premier à se ressaisir et avancer vers Sandora. Le voyant faire, elle avança également vers lui. Tous deux s’arrêtèrent nez à nez sans pour autant se tomber dans les bras l’un de l’autre. Frédéric se mit à sourire.

« - Je suis sincèrement heureux que tu n’aies rien » lui dit-il.

Sandora plongea son regard dans celui de Frédéric et lui rendit son sourire bienveillant.

« - Je suis contente que tu sois revenu me chercher » répondit-elle, tendrement.

« - Je dois te parler » dit-il alors, essayant d’être le moins abrupt possible.

« - Je m’en doute » répliqua-t-elle doucement.

Tous deux s’éloignèrent alors du groupe et se placèrent dans une zone la plus éloignée possible de tout civil afin d’être tranquilles. Ils passèrent de longues secondes à sonder le regard de l’autre, ou plutôt à se perdre dans le regard de l’autre. Finalement, Frédéric prit la parole.

« - Je ... Il m’est arrivé pas mal de choses depuis la dernière fois que l’on s’est vus » commença-t-il à dire.

« - Jeremiah m’a dit ce qu’il t’était arrivé avec la connaissance des Chozos. Ça va mieux ? »

« - Aujourd’hui, oui. Bien qu’un être a soulagé mon esprit surchargé, semble-t-il qu’il est resté fragilisé par cet incident. Lorsqu’on nous a renvoyés chez nous de force, une puissance, inconnue il y a encore quelques heures, nous a séparés et nous a envoyés dans diverses directions à travers le multivers. Lorsque j’ai atterri, ce fut avec pertes et fracas et j’ai perdu la mémoire pendant un peu plus de trois jours ».

« - J’étais nu, sans identité et mon facteur régénérant m’a laissé infirme durant plusieurs heures. C’est comme ça que Milla, la femme que tu as vue en arrivant, m’a trouvé et accueilli. Je n’ai pas eu droit à une convalescence classique dans ce genre de cas et bon gré, mal gré, il a fallu que j’aille de l’avant. J’ai dû avancer et me reconstruire à partir de rien. Je n’étais plus qu’une page vierge sur laquelle il fallait tout réécrire. Je n’avais plus le souvenir de personne. Je ne me souvenais ni de Jeremiah, ni de Wade, ni de Miles, ni même de toi ; je ne me souvenais plus de rien avant mon crash ».

Sandora écoutait attentivement ce que Frédéric lui disait, alors Frédéric poursuivit.

« - Avant que je ne me souvienne de l’amour que j’éprouvais pour toi, je suis tombé amoureux de Milla ... et ce n’est qu’alors que mes premiers souvenirs de notre amour me sont revenus. Je ... ne sais pas quoi te dire de plus » admit-il en baissant les yeux.

« - Donc c’est fini entre nous ? » demanda Sandora, les yeux humides.

Frédéric redressa la tête.

« - Il faut que tu comprennes. Fondamentalement, j’ai l’impression d’être resté à peu près le même, mais ... en même temps, j’ai l’impression d’avoir changé. Je ne suis plus tout à fait le même et la relation que j’ai avec Milla est forte ... si forte. Je n’ai jamais connu cela avec aucune femme auparavant. ... C’est une lycanthrope ... comme moi » tenta-t-il d’expliquer.

« - Je vois ... »

« - Crois-moi, je n’avais pas envie de te faire de la peine mais je préférais être honnête avec toi pour que tu en souffres le moins possible ».

« - Pourquoi être revenu alors ? » demanda la sirène.

« - Parce que je tiens toujours à toi ... en tant qu’amie » répondit franchement Frédéric.

« - Okay ! »

Sandora ne sut pas quoi répondre de plus. Elle était bouleversée, bien sûr, mais elle était comme soulagée également. Elle avait honte de cela mais le fardeau qu’elle s’était imposé, garder Frédéric sur le droit chemin et l’empêcher de sombrer aux pulsions de son cavalier, était trop lourd pour elle. La sirène regarda alors cette Milla qui lui avait ravi Frédéric. Elle se dit que cette lycanthrope saurait sûrement avoir les épaules plus solides qu’elle. Elle la regarda, tentant de lui trouver un aspect repoussant ... mais il n’y avait pas moyen. Milla était une belle femme, farouche et envoûtante à la fois. Elle débordait de sex-appeal, sûrement son côté animal dans lequel Frédéric semblait se retrouver. Mais la sirène sentait qu’il y avait plus que ça. Elle ne savait pas ce que c’était mais Sandora sentait qu’il y avait plus que leur côté lycanthrope que tous deux partageaient.

« - Tu vas me manquer ! » fit-elle en esquissant malgré tout un sourire.

« - Je serais toujours là pour toi ! » répondit Frédéric en la serrant dans ses bras, une main derrière sa tête comme pour la consoler.

Sandora appuya ses mains sur sa poitrine.

« - Je sais ... Tes amis le savent aussi, c’est pourquoi Jeremiah est venu à ma rencontre ».

Ils restèrent ainsi quelques secondes avant de se séparer, la sirène essuyant ses larmes.

« - Qu’allez-vous faire maintenant ? Vous vous rendez de suite à la Grande Bibliothèque ? » demanda-t-elle.

« - On attend encore Miles, je pense qu’il aura déduit la même chose que Jeremiah et Wade. J’espère qu’Isaac nous rejoindra également. Mais on ne partira pas tant que tous les civils n’auront pas été évacués vers le site B ».
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A suivre dans le chapitre 455 : Jhooth !