Terre 6354 - Complexe Zénith

Utilisant les capacités furtives de son armure, Westwood progressait à un rythme constant dans l’aile Nord du complexe. Tout le long du trajet menant à la salle de contrôle, les murs étaient constellés d’impacts de balle. Puis les impacts baissèrent sensiblement en nombre. Les premiers corps apparurent alors au profit d’un virage.
Westwood s’assura qu’aucune menace ne soit présente pour inspecter la dépouille. S’attendant à voir son thorax et son abdomen déchiquetés, il fut intrigué de trouver le cadavre parfaitement intact. Il ne présentait aucune blessure apparente. Pas de traces de sang, pas de traces de coups ou d’un quelconque impact. C’était comme si l’individu était tombé raid mort sur le coup, comme sous l’effet d’une crise cardiaque. Que l’un des militaires en soit la victime pouvait passer, mais lorsque les cadavres présentant la même absence de symptômes s’amoncelèrent, rapidement ce ne fut plus une coïncidence.

Westwood était plus que jamais alerte. Même si l’armure qu’il portait était du dernier cri, il redoutait de se confronter à une créature capable de tuer des soldats ainsi. Il se rappela alors un cas similaire lors d’une des missions de la F.F. Oblivion. Des colons de l’Unicorps avaient été retrouvés morts sur une planète d’une exodimension à priori inhabitée. Du moins c’était ce que les sondes avaient rapporté lors de l’exploration à distance par des I.A. limitées. Les colons ne présentaient aucune blessure. Le seul élément distinctif de leur état était une chevelure entièrement devenue blanche ... blanche de peur. Lorsqu’ils comprirent à quoi ils avaient affaire, ou plutôt à quel domaine d’expertise, ils avaient appelé la F.F. Jéricho à la rescousse. Ils avaient ainsi déterminé qu’il s’agissait de poltergeist extraordinairement agressifs et puissants, des esprits frappeurs. L’Unicorps eut tôt fait de les nommer "esprits massacreurs".

Ce souvenir remémoré, Westwood s’abaissa alors près d’une nouvelle dépouille, un soldat féminin, le plus à même d’avoir une chevelure suffisante pour constater une possible décoloration capillaire. Il lui retira son casque et découvrit une chevelure rousse chatoyante. Ce n’était donc pas une saloperie du genre esprit massacreur. Mais qu’est-ce que ça pouvait bien être alors ?

Westwood se releva et poursuivit son chemin jusqu’à la salle de contrôle. Hormis les dépouilles en nombre, il ne rencontra aucune forme de résistance. Arrivé face à la porte, il l’inspecta pour tenter de déceler un quelconque piège. Il l’ouvrit prudemment mais rien. La pièce était vide. La salle de contrôle portait bien son nom. Des écrans par dizaines composaient une décoration murale quelque peu particulière ; des écrans tous éteints. Encore une fois, tout semblait avoir été éteint avant leur arrivée et ce malgré le tumulte des combats. Sous les écrans trônait un large tableau de bord avec moult claviers, interrupteurs et boutons.
Des chaises au nombre de quatre faisaient face à ce clavier infernal pour tout profane. Westwood inspecta ces myriades de boutons et finit par trouver le bouton de marche/arrêt de tout ce fatras. Les écrans s’allumèrent alors mais restèrent noirs. Un curseur apparut et rapidement des lignes de codes défilèrent à toute vitesse. C’est alors que Westwood vit apparaître une faible lueur verte dans le reflet des écrans. Il se retourna vivement, levant son arme mais ne vit rien. Était-ce un tour de son imagination ? Il resta planté là à inspecter du regard les moindres coins et recoins de la pièce. Il n’y avait là rien de suspect hormis le cadavre sous le bureau à gauche. Il devait s’agir là d’un des opérateurs de la pièce. Soudain la salle s’éclaira. Les écrans derrière Westwood affichaient dorénavant des vidéosurveillances en direct-live de tout le complexe. Westwood resta sur le qui-vive plusieurs minutes durant. S’il y avait une dépouille dans cette pièce alors la menace non identifiée l’avait atteinte également. Plusieurs minutes plus tard, le son d’une rafale de tirs attira son attention. Westwood finit par fermer la porte et consulta les écrans. Il y vit la femme qui accompagnait Frédéric tirer sur une petite créature humanoïde couverte de sang et d’entrailles. Les secondes suivantes, des cris stridents émanèrent de plusieurs autres écrans. Bientôt des dizaines de créatures surgirent de plusieurs pièces de la section Merlin et convergèrent vers la position de Frédéric et de son amie.

« - Va y avoir du sport ! » dit-il à voix haute tandis que son casque se repliait dans son col en dizaines de plaquettes métalliques.

..oO( Bon où sont Taït et Iat ?) se demanda-t-il en consultant les écrans aussi vite que possible.

Il eut beau les regarder tous à plusieurs reprises, il ne les voyait pas. Pire, il ne voyait pas leurs quartiers. Comment était-ce possible ? Tout était surveillé à Zénith. Il comprit alors pourquoi. Plusieurs caméras donnaient directement sur des murs ou des plans inintéressants. Cherchant la bonne souris, il pointa sur ces écrans les uns après les autres et, utilisant les divers sticks du tableau, les réorienta tous. Finalement, il reconnut les quartiers de Taït. Il se souvenait que la déesse l’y avait invité pour lui remettre son armure. Il avait beau zoomer et dézoomer, orienter la caméra sous tous les angles possibles, il n’y avait pas trace de Taït. C’est alors qu’il vit surgir Giaz sur l’écran. Il le vit humer l’air pour détecter une quelconque présence.

Après quelques secondes à le voir piétiner, Westwood vit le reptiloïde prendre quelque chose dans sa poche ; un émetteur. Immédiatement, Westwood redéplia son casque.

« - Colonel ! Je suis arrivé dans les appartements de Taït, mais il n’y en a pas la moindre trace ! »

« - Je sais, Giaz ! Je viens d’arriver à la salle de contrôle et j’ai pu le constater juste avant que tu n’arrives ».

Le reptiloïde se retourna alors vers la caméra et la regarda.

« - Où sont les autres ? » demanda Westwood.

« - Sept étaient déjà morts quand je les ai quittés pour poursuivre. Les trois derniers doivent l’être à leur tour » répondit Giaz sans une once d’émotion.

Westwood observa alors les autres écrans. Il avait vu un combat concernant quelqu’un d’autre que Frédéric et Milla. Il le retrouva rapidement. Ce qu’il vit confirma les funestes prédictions de Giaz. Le combat avait cessé et les trois derniers militaires étaient au sol, éparpillés un peu partout. Au milieu de la pièce une créature à l’aspect unique déambulait parmi les cadavres. Elle prélevait les armes, les munitions, les boucles de ceintures et de sangle, tout ce qui était métallique. Puis elle enfonçait des vrilles dans les dépouilles.

« - Qu’est-ce que fout cette saloperie ? »

« - Elle prélève les traces de métaux dans les dépouilles de vos coéquipiers, Colonel Westwood ! » dit alors une voix dans son dos.

Westwood se retourna alors brutalement arme à la main. L’individu face à lui n’avait rien d’humain. Il en avait la stature et le maintien mais la luminescence émeraude qui émanait de son organisme ne trompait pas. Ses yeux étaient fins et vicieux. Sa bouche était un entre-maillage de filaments qui s’étiraient lorsqu’il parlait. Il portait une sorte de houppelande grisâtre toute mitée et effilochée. Ce vêtement masquait mal que tout son être irradiait de la même lumière.
Sans attendre davantage, Westwood le cribla de balles. La créature face à lui se mit à sourire. Seule sa houppelande subissait des désagréments, son corps ne semblait rien ressentir ; comme si les balles traversaient simplement de l’air. Comprenant cela, Westwood cessa de tirer, préférant conserver ses munitions pour quelque chose qui les sentirait passer. La créature sourit un peu plus alors.

« - Tu n’es pas colonel pour rien, Caïn ».

« - Comment connais-tu mon prénom ? »

« - Le Mastercorps a ton double parmi ces rangs ... bon gré mal gré, dois-je dire. Et il ne porte pas exactement le même nom. Lui s’appelait Caïn Northwood ... Depuis son intégration, c’est simplement plus que "Le Northwood". Veux-tu devenir "Le Westwood" ? »

« - Certainement pas ! Et toi tu t’appelles comment ? »

« - Au Mastercorps, ils m’appellent le Collecteur ... Une appellation en rapport avec mon modus operandi. Je te l’accorde, ils n’ont pas été cherché bien loin. Ceci dit, j’aime bien le nom auquel tu as pensé tout à l’heure ... Jéricho, c’est ça ? Tu peux m’appeler comme ça, je t’en serais reconnaissant ».

Immédiatement, Westwood porta sa main droite à sa tête. Il avait lu ses pensées ? La créature, le Collecteur ... Jéricho se mit à nouveau à sourire.

« - Ne t’inquiète pas, je ne peux plus les lire ! »

Westwood était stupéfait. Disait-il bien la vérité ?

« - Autant que tes balles ne peuvent m’atteindre, depuis que tu as refermé ton casque, je ne peux plus atteindre tes pensées. Intéressante armure que voici. Peu de choses parviennent à stopper mes intrusions et la plupart sont de nature magique. Mais cette armure ? »

Jéricho s’avança alors de Westwood et toucha le casque du bout de ses doigts translucides.

« - C’est autre chose ... ou plutôt c’est un habile mélange de plusieurs natures. C’est d’une apparence technologique au premier regard mais ... c’est bien plus que ça ».

Jéricho tournait maintenant autour de Westwood comme pour observer l’armure sous tous les angles. C’est alors qu’il s’arrêta sur son bras gauche.

« - Ce bras ... N’est-ce pas celui que votre Summers a sectionné ? Aaaaah, ces Summers, alors ! »

La créature avait touché juste. Lorsque Westwood avait expulsé de force le groupe de Frédéric vers la dimension du Conseil Galactique, il s’était retrouvé face à face avec Summers, l’homme qui avait fait partie il n’y a pas si longtemps de sa Force de Frappe. Depuis, il était passé du côté du Mastercorps et s’était retrouvé amélioré.
Le combat qui avait suivi avait vu Summers couper le bras gauche de Westwood et le laisser pour mort. Lourde erreur de la part de ce sagouin car l’armure que Taït lui avait confectionnée était imprégnée d’une portion de son ichor. Pas assez pour régénérer son bras en l’espace de quelques heures mais assez pour le faire en l’espace d’une semaine.

« - Peut-être devrais-je demander à Taït de me confectionner quelque chose de plus résistant que cette misérable étoffe que je traîne depuis des lustres ? »

« - OU EST-ELLE ? » fit alors Westwood, réactif.

Jéricho sourit à nouveau.

« - Elle et Iat sont avec le Nortwood ! » fit Jéricho en posant sa main sur le sommet du crâne de Westwood.

Jéricho plissa alors les yeux de frustration.

« - Intéressant ! Cette armure m’empêche aussi de te collecter ? »

« - On dirait qu’on se trouve dans une impasse ! » rétorqua Westwood, ne sachant pas trop de quoi parlait la créature.

Jéricho sourit à nouveau. Dans le dos de Westwood, à l’écran où était affiché la créature de métal, celle-ci quittait alors la pièce.

« - C’est ce que nous verrons ! » fit Jéricho.

Westwood et Jéricho restèrent là à se regarder un instant. Le colonel ne savait trop quoi faire face à cet adversaire que ses balles n’atteignaient pas. Jéricho fut le premier à bouger. Il tourna les talons et alla s’adosser contre le mur à côté de la porte. Semble-t-il que la créature comptait observer les prochains mouvements de Westwood.

Celui-ci se retourna alors vers la console, non sans jeter un coup d’œil à plusieurs reprises à la créature. Iat et TaÏt étaient donc toutes deux retenues au même endroit par son double ? Mais où pouvaient-ils bien se trouver ? Il ne les avait pas vus les premières fois qu’il avait observé tous les écrans. Ils se trouvaient donc dans une pièce non surveillée.

« - Les douches ! » s’écria-t-il.

Mais lesquelles ? Presque chaque section avait ses propres douches. Presque car la section Nord n’en avait pas, par exemple. C’est pourquoi la section Sud-Ouest présentait des douches particulièrement vastes servant à toutes les sections qui en étaient démunies.
Westwood activa son émetteur et contacta Giaz.

« - Giaz ! Je sais où elles sont ! Rends-toi aux douches de la section Sud-Ouest ! Je t’y rejoins une fois que je l’aurais dit à Frédéric ! »

« - Bien compris ! » fit le reptiloïde.

Sur ce, Westwood sortit de la salle de contrôle et parcourut la section Nord en sens inverse au pas de course.

« - Cours, Westwood ! Cours vers ta mort, mon petit ! » fit Jéricho sans que le concerné ne l’entende.

De leur côté, Frédéric et Milla mitraillaient les créatures qui arrivaient en masse. Les nouvelles venues enjambaient le monceau constitué des cadavres de leurs congénères sans aucune pitié ni aucun remords. Elles leur marchaient dessus comme s’il fut agi d’une simple butte à gravir. Mais rapidement, Frédéric et Milla se rendirent compte d’une chose. Le nombre de créatures était bien supérieur à ce qu’ils avaient pensé de prime abord. Ils avaient déjà abattu plus d’une cinquantaine de ces monstruosités et d’autres continuaient d’affluer sans cesse. Bientôt, ils arriveraient à court de munitions et ils devraient passer au corps à corps.

Quelques minutes plus tard, ce fut effectivement le cas. Sans munitions, ils se délestèrent de leurs armes devenues inutiles et se métamorphosèrent en lycanthropes. Comme si les rafales de tirs les excitaient, les créatures semblèrent ralentir leurs mouvements. Continuant de s’approcher de Frédéric et de Milla plus comme des prédateurs jaugeant le bon moment pour attaquer que comme des fous furieux. Le couple trouva cela curieux. C’est alors qu’ils virent quelque chose de dérangeant derrière les créatures qui avançaient sur eux. Celles qui avaient été blessées se retournaient vers les dépouilles de celles qui étaient mortes et semblaient fusionner leurs chairs avec, se soignant et augmentant de volume par la même occasion.

« - ÉCARTEZ-VOUS !!! » cria soudainement Westwood dans leur dos.

A peine fut-ce fait que le colonel tira une grenade vers le plafond entre le couple et les monstruosités. Le plafond céda et déversa béton et roche, obstruant complètement le couloir.

« - Et comment fait-on pour retrouver Iat, maintenant ? » fit Milla.

« - Elle n’est pas là-bas ! Suivez-moi ! »

Tous les trois repartirent ainsi vers le hall de jonction des différentes sections. Là, ils s’arrêtèrent net, se retrouvant nez à nez avec la créature métallique recouvrant l’ancienne militaire comme une robe macabre.

« - Bordel ! C’est quoi cette horreur encore ? » fit Frédéric.

« - Cette "horreur", mon cher, est l’une de mes créations ! » fit alors Jéricho en revenant de la section Nord.

« - C’est le festival des horreurs ce complexe ! » fit Milla en voyant l’aspect de Jéricho.

« - Que diriez-vous d’en devenir une ? » répliqua la créature en levant les mains dans leur direction.

Frédéric s’interposa, enflammant ses mains.

« - Essaie donc un peu pour voir ! » prononça-t-il d’un ton menaçant.

Soudainement, des torsades métalliques vinrent perforer Frédéric de part en part. Ce dernier était comme paralysé par la soudaine douleur qu’il ressentait. Ses flammes s’éteignirent tandis qu’il versait son sang sur le sol du hall. La situation était désespérée aux yeux de Westwood. Celui qui était le plus à même de combattre Jéricho et sa créature était déjà neutralisé.

La créature métallique commença à ramener Frédéric à elle pour dieu sait quoi lui faire. C’est alors qu’il se reprit. Ayant accusé le coup, il s’enflamma intégralement et fit fondre les torsades qui l’avaient harponné. La créature métallique rétracta ce qu’il restait de ses vrilles rapidement. Au sol, les gouttes de métal fondu s’animèrent et rejoignirent le monstre. Jéricho applaudit alors.

« - Bel effort que voici ! Toutefois, il te faudrait drastiquement augmenter la température de ta flamme pour en venir à bout et ... dans cet endroit, ce ne serait pas sans conséquences pour tes compagnons ! »

Frédéric serra les dents tandis que ses blessures se refermaient. Il était bel et bien capable d’augmenter la puissance de ses flammes. A vrai dire, il était quasiment sûr de pouvoir venir à bout de la créature métallique en utilisant ses flammes suppressives. Mais comme l’avait si bien dit Jéricho, ce ne serait pas sans conséquences pour Milla et Westwood ... sans oublier Giaz qui se tenait toujours camouflé à la sortie de la section Paladin.
Soudain, ils entendirent le son d’une cavalcade. Ce n’était pas la cavalerie qui arrivait. Non ! Ce son provenait de la section Merlin et c’était les petites créatures qui avaient percé l’éboulement causé par Westwood.

« - La situation devient fort intéressante ! » fit Jéricho.

« - Plus que tu ne le crois ! » fit une voix féminine.

Cette voix, tous la reconnurent ; c’était celle de l’ex-ange Kristell. Ils se retournèrent vers la section Est pour la voir apparaître. Quelle ne fut pas leur surprise de constater que ce n’était pas leur Kristell mais une version pervertie du Mastercorps. La jeune femme portait un masque blanc présentant uniquement deux orifices pour les yeux. Elle portait une longue robe noire et un haut blanc moulant ne couvrant uniquement que sa poitrine et son ventre, laissant ses bras, ses épaules et ses côtes nus.

« - Christ-Hell ! Je me demandais quand tu apparaîtrais ! »

Au lieu de se jeter sur le trio, les créatures se précipitèrent vers elle, s’agglutinant autour de ses jambes et de ses bras. Fusionnant les uns avec les autres et créant un début d’armure organique sanguinolente à la perversion Christ-Hell.

« - Par qui on commence ? » demanda-t-elle.

Au moment même où elle prononçait ces mots, un tunnel de transport spatial s’ouvrit dans son dos et une voix glaçante lui répondit : « - Par toi ! ».

Sans lui laisser le temps de réagir, la lame d’une faux vint lui transpercer le crâne entre les deux yeux. Tandis que Christ-Hell s’effondrait, l’on découvrait la silhouette de Wade, plus sombre que jamais.
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A suivre dans le chapitre 446 : Zénith au nadir, part 3 !