Terre 6354 - Complexe Zénith

Tout le monde avait été surpris par la soudaine apparition de Wade ; Christ-Hell plus que les autres ... enfin si elle avait eu le temps de l’être. La jeune femme, version pervertie de l’ex-ange, gisait dorénavant sur le sol répandant son sang via la blessure infligée par la faux qui transperçait son crâne. Wade avança d’un pas calme et posé jusqu’au cadavre et retira d’un geste vif son arme, ne faisant pas bouger le corps. Après quoi, il tourna la tête vers Jéricho.

« - Es-tu le suivant ? » lui demanda-t-il sur un ton neutre.

Pour la première fois depuis qu’il l’avait rencontré, Westwood vit que Jéricho ne souriait pas. Il semblait prendre Wade très au sérieux ... et il n’avait pas tort. Après tout, il venait de tuer d’un seul coup Christ-Hell. Sentant son maître menacé, la créature métallique fendit l’air d’un bond furieux en direction de Wade, dépassant Frédéric. Celui-ci, vif, parvint à attraper les bandes métalliques flottant à sa traîne.

« - Tu vas où toi ? On a commencé un combat et je compte bien le finir ! »

La créature tourna à peine la tête vers Frédéric mais sembla crier d’une voix distordue. Elle força au possible pour tenter de se jeter sur Wade. Rapidement, du sang commença à couler des mains de Frédéric. Les bandelettes de métal par lesquelles il la retenait devenaient aussi tranchantes que des rasoirs.
Frédéric fronça les sourcils et renforça sa poigne au prix d’une douleur plus intense. Sentant qu’elle ne pourrait échapper à Frédéric, la créature allongea alors les bandes retenues pour lui donner plus de mou. Frédéric s’en aperçut et entreprit de la tirer à lui pour compenser cet allongement. Pendant ce temps, Jéricho, qui n’avait toujours pas répondu, et Wade, continuaient de se jauger du regard.

« - GIAZ ! DÉGAGE !! » cria soudainement Frédéric.

Le reptiloïde qui était resté dans l’embrasure de l’accès à la section Paladin s’écarta juste avant que Frédéric ne tire un grand coup sur les bandelettes rasoirs de la créature et ne la projette dans le couloir d’accès. Immédiatement, Frédéric s’enflamma et la poursuivit en s’envolant telle une fusée.

Sous cette action d’éclat, Wade détourna un instant son attention de Jéricho. La créature en profita pour se ruer sur lui et lui prendre la tête entre ses mains phosphorescentes.

« - Ton âme est à moi ! » lui dit-il, souriant comme jamais auparavant.

Wade retourna la tête vers lui et répliqua froidement : « - Quelle âme ? »

Dans le couloir d’accès à la section Paladin, Frédéric emmenait la créature métallique aussi loin qu’il le pouvait. Non pas qu’il craignait qu’elle atteigne quelqu’un mais parce qu’il voulait mettre suffisamment de distance pour pouvoir utiliser ses flammes à la bonne intensité sans risquer d’infliger un coup de chaleur à ses coéquipiers du fait du confinement de cette installation souterraine.

Bien que Frédéric soit complètement enflammé, la créature ne se laissait pas faire pour autant. Elle se débattait et le lardait à de multiples reprises. Arrivé à mi-chemin de la cuisine, Frédéric finit par s’écraser au sol après plusieurs perforations de la poitrine par des vrilles de taille conséquente capables de ne pas fondre immédiatement. Au sol, sa flamme en passe de s’éteindre, Frédéric crachait du sang. Ses poumons avaient dû être touchés par la dernière attaque. Quant à la créature elle réagençait ses bandes métalliques mises à mal et s’apprêtait à s’élancer pour rejoindre le hall. Au moment où elle dépassa Frédéric, celui-ci la rattrapa par une bande d’une main ferme et la renvoya en sens inverse d’un puissant mouvement du bras.

« - J’ai pas fini ! » fit-il, d’un air des plus sinistres, son œil gauche devenant de plus en plus sombre.

La créature métallique se retourna alors vers lui et le menaça d’une dizaine de vrilles. Mais aucune d’entre elles n’atteignit Frédéric, toutes se tordant avant de le toucher. Frédéric se releva et tira sur la bande d’un coup sec. La créature fut amenée à lui presque nez à nez. Sans attendre quoi que ce soit, Frédéric enfourna son autre main dans l’abdomen de la jeune militaire décédée et laissé accessible. Il la remonta dans sa cage thoracique et provoqua une explosion de flammes suppressives localisée d’une rare intensité. Des rayons de lumières furent émis du corps de la créature avant d’être pulvérisé en un clin d’œil.

Pendant ce temps dans le hall, Wade semblait laisser Jéricho agir à loisir, tenter de trouver ne serait-ce qu’une once d’âme à lui arracher. Pour l’avoir laissé partir, Wade savait fort bien qu’il n’y avait plus rien de ce genre chez lui. Toutefois, ce cirque n’avait que trop duré.

« - Et si on tentait MON toucher ? » dit-il alors.

A ces mots, Wade saisit Jéricho à la gorge de sa main gauche ; sa main dépourvue de chairs. L’effet de son contact fut immédiat. Jéricho écarquilla les yeux en sentant ce froid intense l’envahir. Pire que cela, il se sentait vidé de ses forces. Il se sentait flétrir à vue d’œil.

« - Qu’est-ce que tu es ? » fit alors Wade.

Bien qu’intrigué, Wade n’en paraissait pas moins détaché ; comme une réminiscence de sa curiosité passée. Néanmoins, il arracha de sa main droite un pan de la bure de Jéricho et dévoila son torse et son abdomen. Son corps entier irradiait de cette lumière émeraude. Mais plus dérangeant que cela, on pouvait discerner des dizaines d’âmes qui tentaient de s’échapper de son corps en pressant contre sa peau.

Wade souleva alors Jéricho à bout de bras et se saisit d’une de ses faux. Tandis que la créature gigotait, Wade posa délicatement la pointe de sa lame sur son sternum. Puis, comme s’il fut agi de soie, il créa une petite entaille qu’il poursuivit jusqu’aux derniers muscles abdominaux. Dès lors les âmes retenues prisonnières s’échappèrent du corps de Jéricho tel un geyser désordonné.

Observant cette manifestation, Westwood comprit pourquoi le Mastercorps l’avait nommé "Collecteur". Rapidement, Jéricho cessa de s’agiter. Il n’était plus qu’une dépouille, un sac d’os que Wade maintenait en l’air. Il ne restait de la créature plus que son squelette maintenant discernable et une enveloppe protoplasmique terne et décolorée. Wade le laissa tomber tel un sac d’ordure malodorant. Puis il se retourna vers Westwood et Milla, qui lui était parfaitement inconnue. Il dévoila la moitié de son visage dépourvu de chair, ce qui glaça le sang de ses interlocuteurs silencieux.

Ne le connaissant pas, Milla resta immobile. De son côté Westwood n’osa pas trop bouger non plus. Il connaissait Wade. Même s’il avait toujours été du genre réservé, jamais il ne l’avait vu aussi froid ni sous un aspect aussi effrayant. Quant à Wade, il resta parfaitement immobile, comme s’il n’avait pas conscience que son apparence impressionnait quelque peu.

« - C’est un ami ou un ennemi ? » chuchota Milla à Westwood.

« - Un ami ... normalement ».

« - Qui c’est ? »

« - Wade ».

« - Wade ? » fit-elle à voix haute.

A ce nom, elle s’avança jusqu’à lui et lui tendit la main droite, souriante. Wade l’observa faire et trouva son attitude curieuse. Néanmoins, il lui serra la main tendue.

« - Je m’appelle Milla ! »

« - Wade ! »

C’est alors que Wade ressentit un léger trouble au contact de Milla. Autrefois il l’aurait certainement trouvée magnifique mais ce n’était pas cela qu’il ressentit le temps de la poignée de mains. Wade jeta un coup d’œil à Westwood comme pour lui demander si c’était l’une de ses coéquipières.

« - Elle est avec moi ! » fit Frédéric en revenant, à pieds, de la section Paladin.

Wade lâcha alors la main de Milla. C’est alors qu’un corbeau venu de la section Merlin vint se poser sur l’épaule de Wade tandis que Frédéric avançait vers lui.

« - Ravi de te revoir » lui dit-il en lui serrant à son tour la main.

« - Tu as l’air d’en avoir bavé » dit-il alors en remarquant son faciès et le changement de comportement, plus froid qu’habituellement.

« - Je suis mort » répliqua Wade comme si c’était anodin.

Frédéric haussa les sourcils.

« - Oh ! Okay ! »

« - C’est plus subtil, mais tu sembles également avoir changé durant ton périple » remarqua Wade, qui n’avait rien perdu de sa perspicacité.

« - J’ai perdu la mémoire ... et l’ait retrouvée. Elle traînait dans des catacombes à Paris » répondit-il avec un trait d’humour.

« - Combien de temps l’as-tu perdue ? » demanda Wade sans relever le trait d’humour.

« - Approximativement le temps de mon séjour sur l’autre Terre, la Terre de Milla. Soit environ trois jours, pourquoi ? »

Wade conserva le silence un instant. Pour peu qu’il fusse sollicité, il avait eut le temps de se construire un autre tempérament. Pas assez pour qu’il ne soit pas fondamentalement le même mais suffisamment pour que certaines nuances apparaissent avec le temps. Wade ne croyait pas aussi bien penser.

« - Trois jours ? Je pense en avoir passé quatre de mon côté. Cela veut dire qu’on a passé notre séjour dans des dimensions à l’écoulement temporel similaire ».

« - En tous cas, tu es le premier que je retrouve ! » fit Frédéric en lui administrant une petite tape sur l’épaule.

« - Pourtant, un autre d’entre nous est déjà sur cette planète » répondit Wade.

Frédéric fut interloqué.

« - Comment tu sais ça ? »

« - Quand j’arrive dans une dimension, je suis capable de dire si vous êtes là ou pas et de vous localiser. Tu étais celui qui était le plus proche de moi quand je suis arrivé ici ».

« - Tu sais qui est l’autre ? »

« - Mes sens ne me permettent pas de vous distinguer ».

« - Vous avez fini ? Non parce que je ne sais pas sur quelle saloperie on vas tomber plus loin ! » fit alors Westwood en se dirigeant vers la section Sud-Ouest en rejoignant Giaz.

Frédéric tourna les talons pour le suivre. Milla se joignit à lui. Wade les observa faire et se mit à les suivre sans se demander où ils allaient.

Derrière eux, le corps de Christ-Hell perdit toute consistance tandis que les créatures qui avaient fusionné sur ses membres semblaient se liquéfier.

La section Sud-Ouest, là où Westwood pensait trouver les deux divinités, était la section administrative du complexe. Un terme un peu simple pour y décrire ce qu’il s’y passait. A dire vrai, ici s’organisait tout ce qui était de l’ordre de l’approvisionnement, de la surveillance extérieure, ou du moins s’assurer que le complexe reste bel et bien furtif mais également surveiller à ce que le divinités présentes ici aient tout ce dont elles désiraient ... ce qui pouvait s’avérer être une drôle de gymnastique pour certaines d’entre elles.

La partie qui les intéressait le plus étaient donc les douches. Une salle de douche gigantesque capable de recevoir l’équivalent de cinq équipes de football. Mais à ce moment précis, elle ne semblait accueillir que trois individus. Westwood reconnut de suite l’un d’entre eux. Il s’agissait de la déesse Taït, celle qui lui avait confectionné l’armure qu’il portait.
La déesse était allongée au sol sur le côté, extrêmement affaiblie. Le deuxième individu, habillé avec le même style vestimentaire était Iat. Elle aussi semblait être extrêmement affaiblie. Elle était adossée contre l’un des murs, la tête penchée en avant, inerte. Entre elles se trouvait un individu, assis en tailleur, les mains au sol et leur tournant le dos. Il était immobile mais son corps semblait luire d’une légère lumière bleutée.

Tous contournèrent le trio pour faire face au dernier individu. Frédéric et Wade le reconnurent immédiatement. Il s’agissait de Northwood, le supplicié du Stalag H sur la Terre du Mastercorps. Quant à Westwood, il avait l’étrange impression de se voir dans un miroir déformant. Après qu’Hazier ait réinitialisé son krill, le Mastercorps avait dû le juger trop dangereux et lui avait retiré le symbiote, d’où les longues cicatrices sur ses avant-bras en souvenir des griffes du symbiote qui s’était accroché à son hôte. Néanmoins, Northwood se retrouvait dans la même posture qu’ils l’avaient trouvé dans sa cellule du stalag : la cage thoracique ouverte laissant voir des organes d’un bleu électrique ... source de cette lueur bleutée qui parcourait son corps. Vision encore plus dérangeante, quelques insectes grouillaient sur les organes à vif de Northwood ... comme s’il pourrissait de son vivant. Milla eut du mal à retenir un haut le cœur.

« - Il faut les sortir de là ! » fit Westwood.

Alors que le militaire faisait un pas en avant, Frédéric tendit le bras pour l’arrêter.

« - Attendez ! Vous ne trouvez pas que quelque chose cloche ? » fit-il, l’air soucieux.

« - Ouais, il y a un double de moi avec les tripes à l’air, c’est pas assez étrange pour toi ? »

« - Frédéric a raison ! Dieu sait ce que cette horreur lui fait, ça ne nous affecte pas ... et on l’aurait laissé sans surveillance ? » fit Milla.

C’est alors que les insectes sur les organes de Northwood s’envolèrent. Un bourdonnement se fit soudainement entendre de plus en plus fort comme si des myriades d’insectes s’ameutaient.
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A suivre dans le chapitre 447 : Zénith au nadir, part 4 !