Univers ??? - "L’Aiguille"

Cela ne faisait que quelques secondes que le portail de Wormcell s’était fermé. Tous restaient pantois par la succession des événements. Nul ne savait comment réagir face à ce départ précipité. Tous sauf Blanche.

« - Et on va la laisser partir comme ça ? Faut la rattraper ! » fit-elle.

« - Blanche » fit simplement Jeremiah.

« - Quoi ? Elle n’est pas dans son état normal ! »

« - Blanche, arrête » fit à nouveau le vampire.

« - NON ! CA NE SUFFIT PAS ! Elle va se faire du mal vu l’état dans lequel elle est ! Ce groupe est comme ça, alors ? Il y en a un qui ne va pas bien et on l’abandonne ? »

Frédéric ferma les yeux et serra les dents. Il se contenait face à l’impétuosité de la jeunesse. Lui qui avait tant fait pour retrouver Sandora, il ne savait trop comment réagir face à son nouveau départ.

« - Jeune fille, tu vas trop loin ! » fit le vampire à sa fille adoptive.

Frédéric était dans le déni ; il se refusait de ressentir ce qu’il ressentait en ce moment. Ce sentiment lancinant d’avoir été trahi. Était-ce ce qu’elle avait ressenti elle-même en le voyant revenir aux bras de Milla ? Il rouvrit les yeux et regarda cette dernière du coin de l’œil.

« - Sandora n’est pas l’une des nôtres ? EST-CE QUE SANDORA EST L’UNE DES NÔTRES ?? » cria Blanche.

Frédéric avait conscience que les circonstances étaient différentes. Sandora n’avait pas perdu la mémoire. Elle n’avait pas atteint les limites de l’effondrement de sa propre psyché sur une planète étrangère pour le retrouver. Elle l’avait fui une première fois quand ça allait mal, et elle recommençait aujourd’hui.

« - Pourquoi tu t’enflammes, gamine ? Tu as entendu le ton qu’elle a employé, comme nous tous, non ? » répliqua Reinhardt.

« - Elle était bouleversée ! » rétorqua Blanche.

« - On a tous étaient secoués par cette épreuve, pourtant on n’a pas viré psycho pour autant » répondit Reinhardt, dont le test avait été particulièrement éprouvant.

Blanche s’immobilisa en croisant le regard de Reinhardt.

« - Tu sais de quoi je parle, non ? » ajouta-t-il en la regardant droit dans les yeux.

Tous les deux avaient été meurtris par cette épreuve et semblaient se reconnaître. Une larme pointa du coin de l’œil droit de Blanche.

« - Nous avons tous été confrontés, plus ou moins durement, avec les bagages qui sont les nôtres, à nos peurs et à la corruption. Tous deux ont échoué ... malheureusement cela ne présage rien de bon » fit Milla hasardeusement, se sachant avancer en terrain miné.

Blanche se retourna vers elle, la larme coulant le long de sa joue. Milla avança vers elle.

« - Crois-moi, gamine. Nous étions peut-être rivales en amour mais ce n’est pas pour autant que je souhaitais son échec ou même son départ » fit-elle en posant une main sur l’épaule de Blanche.

La jeune femme réagit plutôt bien, avant de verser des larmes supplémentaires.

« - Donc vous la laissez à son sort ? Et que m’arrivera-t-il si je succombe à mon tour à la corruption ? »

« - Je ne laisserais jamais cela se permettre ! » assura Jeremiah.

« - Je sais que tu feras tout ton possible, papa. Mais là-haut, on était côte à côte, et pourtant tu ignores ce que j’ai vu. Malgré ta volonté et ta puissance, tu ne pourras éviter certaines choses ».

« - S’il ne le peut, je le ferais à sa place ! » avança Frédéric.

« - Avec moi ! » ajouta Milla.

« - Qui sait, dans ton plus grand malheur, peut-être que ce sera même moi » fit Reinhardt.

« - Ou moi » fit Wade.

« - Nous ne laissons pas les nôtres derrière ! » fit Jeremiah en posant ses deux mains sur les épaules de sa fille.

« - Si nous nous sommes tous retrouvés à l’Unicorps, c’était parce que chacun d’entre nous savait que c’était là que retournerait Frédéric, pour chercher Sandora ! Nous formons un front uni. Lorsque l’un de nous a un problème, nous avons tous ce problème ! » ajouta-t-il.

« - Et Sandora ? »

« - Cela fait deux fois qu’elle fuit notre groupe » répondit froidement Wade.

« - Je suis sûr qu’elle saura nous retrouver lorsqu’elle sera prête. Et quand ce sera le cas, je ferais tout mon possible pour la rai ... » commença Frédéric avant que Wade ne le coupe.

« - Je la tuerai ! » fit-il, sa voix tombant comme un couperet.

Tous le regardèrent avec incrédulité. Wade soutint leurs regards sans sourciller.

« - CERTAINEMENT PAS ! » cria Frédéric en prenant Wade par le col.

« - Cesse de me hurler dessus et repose moi » répondit Wade en levant sa main gauche, sa main squelettique.

« - Tu oserais utiliser les pouvoirs de ton cavalier sur moi ? » fit-il étonné.

« - Je ne fais que réagir face à une agression » fit-il sur un ton glacial.

Frédéric réalisa alors qu’il le soulevait à bout de bras. Il le reposa au sol doucement.

« - Tu as raison, excuse-moi ... mais tu menaces de tuer l’une des nôtres ».

« - Sandora ne fait plus partie des nôtres ; ses paroles ont été très claires. Lorsqu’elle reviendra ce sera pour reprendre sa place auprès de toi. Pour cela, elle tuera Milla. Lorsqu’elle reviendra, je serais alors le seul d’entre nous à avoir l’esprit assez clair pour agir ».

Tous furent stupéfaits avec quel calme Wade disait cela. Il semblait ne faire plus qu’un avec son cavalier, ne faire plus qu’un avec Mort. Même si cela était dit sans détour, Wade n’avait pas pour autant tort. Et le silence qui eut lieu alors leur permit à tous de le comprendre.

« - Je ... Je comprends ce que tu dis ... même si j’ai du mal à l’accepter ... Je ne te demande qu’une chose ... Lorsque Sandora reviendra à nous, ne la tue que si elle fait un pas vers Milla, laisse-moi tenter de la raisonner » demanda Frédéric.

« - Sandora n’a pas besoin de faire un pas vers qui que ce soit pour le tuer ... Néanmoins, je tenterai d’être aussi raisonnable que possible à ce moment » répondit Wade.

« - Peux-t-on y aller ? » questionna Tyr après quelques secondes.

« - Je pense que ... » commença à dire Frédéric avant que ce soit Milla qui le coupe cette fois.

« - Non ! »

Tous se retournèrent vers elle mais la jeune femme ne se démonta pas.

« - On a besoin de quelques minutes pour faire décanter ce qui vient de se passer » affirma-t-elle.

Le groupe se dispersa aux quatre coins de la salle à l’aiguille par deux ou seul.
Wade fut le seul à ne pas quitter sa position. L’homme semblait plus détaché que jamais des tracas humains. Il tourna la tête sur sa droite et vit qu’Isaac n’avait pas bougé de place non plus. Il ne faisait qu’attendre qu’ils se remettent à avancer. Wade trouva un écho bizarre de sa propre posture dans celle d’Isaac. Machinalement, il fit un geste de la tête sous la surprise. Isaac lui répondit en faisant de même. Cela eut le mérite de faire sourire brièvement Wade.

« - Humph ! Si tu souhaites copier le comportement humain, je ne suis pas le meilleur exemple » lui adressa-t-il à voix basse, comme une confidence.

Isaac tendit le cou comme pour mieux écouter et répondit sur le même ton : « - Et pourquoi cela ? »

Wade resta sans réaction. Le drone le considérerait-il toujours humain ? Son corbeau vint se reposer sur son épaule après s’être envolé lorsque Frédéric avait soulevé Wade.

De leur côté, Jeremiah avait pris Blanche à part.

« - Écoute ma fille, il faut que tu te concentres sur tes réussites. Tu as réussi l’épreuve ! »

« - Mais j’ai failli craquer ! »

« - Mais tu ne l’as pas fait ! Tu t’es montrée forte alors que tu n’étais pas préparée à ce genre de choses. Souviens-toi bien de cette réussite, c’est primordial. Ça peut parfois constituer une bouée de sauvetage ».

« - Est-ce que ça veut dire que Sandora n’a jamais eu de bouée ? »

« - De ce que j’en ai compris, Sandora n’a jamais eu une vie facile. J’espère sincèrement qu’elle trouvera sa bouée avant qu’elle ne nous retrouve ».

« - Et si ce n’est pas le cas ? Si elle revient en s’étant encore plus enfoncée dans les abysses ? »

Le vampire soupira.

« - Je laisserai une dernière chance à Frédéric de tenter de la ramener ... La question n’est pas de savoir s’il faudra tuer ou non Sandora, c’est ... la laissera-t-on tuer Milla ? »

Blanche tourna la tête vers Milla pour l’observer un bref instant. Cette dernière s’en aperçut et lui adressa un geste de la main avec un sourire.

« - La pauvre, elle ne sait pas encore quoi penser de tout ça » fit Milla à Frédéric.

« - Parce que nous, nous le savons ? » répondit Frédéric.

Milla prit le visage de son amant entre ses mains.

« - Que te dit ton instinct ? »

« - Là ? Tout de suite ? Je crois qu’il se bat avec toutes les idées qui me passent par la tête. Je me demande ce que j’aurais pu faire de différent pour qu’on n’en arrive pas là ».

« - Ne pas tomber amoureux de moi ? »

Frédéric baissa le regard, honteux d’y penser.

« - Il ne faut pas que tu te sentes coupable. Tout le monde ne perd pas la mémoire et personne ne sait comment il réagirait si tel était le cas ».

« - Je me sens tout de même coupable ».

« - Coupable de quoi ? D’avoir trompé une femme dont tu n’avais pas le moindre souvenir ? T’es dur avec toi-même, là. Et puis que je sache, elle est majeure et vaccinée, non ? Si toutes les femmes tournaient psychopathes à la moindre rupture, il n’y aurait pas assez d’asiles sur la planète. Elle fait ses choix et elle en est la seule responsable ».

« - J’aimerai croire que loin de nous elle finira par trouver le bonheur et nous oublier. Je n’aimerai pas devoir l’affronter ».

« - Non mais attends. Tu vis dans quel siècle, là ? Je suis parfaitement capable de me défendre ! »

« - Pas contre ses pouvoirs ».

« - A ce sujet, tu serais surpris de quoi je suis capable. Je n’ai pas eu le temps de t’en parler avec tout ce qui vient de se passer. Mais lorsque j’ai passé l’épreuve contre le Gardien de la porte sylvestre, Artio m’a révélé quelque chose d’insoupçonné. Figure-toi que ... »

« - Bien le bonjour ! Vous voici enfin tous réunis en ce lieu de connaissances et de savoirs absolus » s’esclaffa alors une voix que certains connaissaient déjà.

Frédéric, Reinhardt et Wade l’avait déjà entendue au moment de quitter la dimension où ils avaient échoué après qu’Horus ait perturbé leur voyage retour. L’inconnu s’était alors manifesté à eux sous différentes formes, différents avatars.

Tous se tournèrent vers l’individu et furent stupéfaits par la vision qu’ils eurent. Se dressait devant eux un gigantesque boa blanc, lumineux et étincelant, presque argenté. Ses pupilles en formes de fentes étaient d’un or resplendissant et irradiant de lumière. Il serpentait autour d’une silhouette humanoïde éthérée, presque effacée, dont les traits étaient indiscernables. Une ombre plus qu’une véritable présence, anecdotique.
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Note 1 : le titre signifie « Une aiguille dans l’abîme, part 4 : Abréaction »
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A suivre dans le chapitre 509 : Ōkina Toshokan !