Terre ??? - Oros

Quelques minutes avant le lever du soleil, Jeremiah fut le premier face au rocher qui condamnait le village. Il avait veillé toute la nuit afin de refouler la créature indéterminée qui avait rôdé autour du village. Il n’avait jamais pu déterminer ce que ça pouvait bien être. Toutefois, cela faisait près d’une heure qu’elle avait quitté les lieux.
Les wenja s’éveillaient tout juste et le vampire avait hâte de partir à la recherche de Wokar. C’est alors que les wenja chargés de déplacer le rocher se présentèrent sur le sentier descendant jusqu’au rocher. Les voyant arriver, Jeremiah comprit que c’était l’heure. Sans attendre que les wenja le rejoignent, le vampire déplaça le rocher avec une étonnante facilité aux yeux des wenja. Il sortit par le trou dans la palissade et tenta d’humer l’air. Malheureusement, il n’avait pas les capacités olfactives de Frédéric. Par où commencer ? Le wenja avec qui il avait conversé brièvement la veille le rejoignit.

« - Toi être fort ! » lui adressa-t-il en le tapotant sur l’épaule.

« - Wokar où parti ? »

Le wenja tendit le bras et lui indiqua la direction dans laquelle s’était dirigé Wokar et Terki avant lui. Bien sûr, Terki faisait partie du village et en soi il était précieux mais comme l’avait dit l’autre wenja, Terki n’était pas Wokar ... mais pas pour les mêmes raisons aux yeux du vampire. Dans cette vie simple, une amitié vraie et pure commençait à se tisser entre lui et le chasseur. Jeremiah s’inquiétait vraiment pour lui. Il fila à vive allure à travers la forêt jusqu’à ce qu’il ne perçoive plus la piste que les deux chasseurs avaient empruntée. Le vampire s’immobilisa et observa avec insistance les lieux. Il auscultait du regard chaque détail. Depuis la veille, la végétation avait repris sa place. Il ne voyait pas de branches ou de brindilles brisées. Près d’une demi-heure à observer les lieux avec une rare intensité plus tard, les iris du vampire se mirent à étinceler à son insu. Sous ses yeux la végétation sembla s’animer en accéléré. Le vent qui soufflait sur l’herbe la faisait battre à un rythme cadencé. Soudain, il vit comme une piste se dessiner au beau milieu d’elle ; c’était là le passage d’un être vivant ... un homme. Jeremiah ne sut pas trop si c’était son imagination qui lui jouait un tour mais il choisit de suivre cette piste fantomatique temps qu’il la discernait ... d’une façon ou d’une autre.

A mesure qui la suivait, l’intensité du regard du vampire s’estompa, suivant la piste aveuglément. Sa concentration baissant, la piste s’effaça avant de complètement disparaître. Qu’est-ce que ça signifiait ? Jeremiah observa les lieux autour de lui. Jamais il n’était allé jusque-là avec Wokar auparavant. Un instant il sembla perdu. Une odeur particulière lui arriva alors aux narines. Comme il s’était fait la réflexion avant de partir du village, il n’avait pas les capacités olfactives de Frédéric. Mais il était sur une piste dont la nature même le rendait imbattable : le sang. Les vampires pouvaient sentir le sang et remonter une piste même s’il ne s’agissait que de gouttelettes éparses. Terki, Wokar, ou quoi que ce soit, avait perdu du sang. La teneur en fer indiquait que cela faisait quelques heures maintenant. Néanmoins c’était sa seule piste. Sans réfléchir, il la remonta et arriva rapidement en vue d’un énorme rocher surgissant de la terre et de l’humus. L’odeur y était plus forte.

Prudemment, Jeremiah s’approcha du rocher. Il vit que l’herbe avait été rabattue au sol sous le poids d’un corps qui y avait été traîné. La piste contournait le rocher jusqu’à une petite anfractuosité sous la base du rocher. Des branches coupées avaient été dressées devant pour tenter de la camoufler. Manifestement un humain s’était calfeutré ici ... et s’y calfeutrait encore sûrement étant donné que les branches étaient encore en place.

« - WOKAR ? » héla le vampire.

Celui-ci entendit alors le son d’un homme qui revenait à lui en sursaut.

« - Jeremiah ? » lui répondit la voix du chasseur.

C’était bien le chasseur. D’un geste de la main, Jeremiah souffla les branches. Il découvrit un Wokar terré dans une minuscule tanière, sa lance aux mains et les traits tirés. Il semblait avoir passé une nuit blanche. Le vampire aida le chasseur à sortir de son trou et s’aperçut qu’il avait une plaie ouverte au niveau des côtes qui saignait encore malgré le pansement rudimentaire de feuilles que le chasseur avait appliqué dessus. Alors que Jeremiah s’inquiétait de la gravité de la blessure, Wokar esquissa une grimace et tenta de repousser le vampire.

« - Toi laisser voir ».

Bien que réticent de nature, le chasseur finit par écarter son bras et laissa le vampire agir. Celui-ci écarta les feuilles partiellement séchées avec délicatesse afin de ne pas faire saigner outre mesure. La blessure avait été infligée par des griffes à n’en pas douter.

« - Quelle bête ? » demanda Jeremiah tandis qu’il apposait sa main droite sur la blessure de Wokar.

« - Pas bête, ça être Terki ... Gah ! »

Jeremiah tenta de détourner l’attention de Wokar tandis qu’il abaissait la température de sa main pour geler superficiellement la blessure et la faire cesser de saigner.

« - Terki ? Toi combattre Terki ? »

« - Terki mort ! »

« - Toi tuer Terki ? »

« - Non, Terki déjà mort quand moi trouvé ».

« - Déjà mort ? »

« - Comme Kuzgwar » échappa Wokar.

Jeremiah observa les alentours, ses sens à l’affût. Dès que Wokar lui eut dit que c’était Terki qui l’avait blessé ainsi, il se douta que quelque chose n’allait pas. Il avait déjà croisé Terki et il n’avait pas ce qu’il fallait pour combattre Wokar à la loyale. Les wenja n’avaient pas de mots pour mettre sur ce qu’était devenu Terki mais d’après ceux qu’employait Wokar, il était devenu un mort-vivant. Était-ce sa présence qu’il avait ressentie autour du village la nuit passée ? Cela expliquerait bien des choses.
Néanmoins quelque chose le titilla. S’il était devenu un simple zombie, il serait encore dans les parages.

« - Où Terki être ? »

« - Terki parti avec jour ».

La phrase de Wokar glaça le sang de Jeremiah. Il n’y avait qu’un type de revenant à fuir devant le soleil. C’est pourquoi Terki avait fui les alentours du village à l’approche du lever du soleil ... Non quelque chose n’allait pas. Wokar venait de lui dire que Terki était parti avant le lever du soleil. Ce n’était donc pas lui qui avait rôdé autour du village cette nuit. Y avait-il un autre wenja à avoir franchi la barrière de la mort et à en être revenu ?

Peu importe ! Maintenant qu’il savait à quoi il avait affaire, Jeremiah n’en eut pas peur. Il avait jadis combattu toute une armée de ces revenants à lui tout seul alors ce n’allait pas être un ou deux d’entre eux qui allaient l’impressionner. Il leva alors le nez au ciel pour s’enquérir de la position du soleil dans le ciel. L’astre pointait encore à l’est. Étant donné son altitude, cela devait bientôt faire deux heures qu’il était parti du village.

Le vampire observa alors son camarade. Il était grandement affaibli. Il ne pouvait pas le porter, la fierté de chasseur de Wokar ne devait pas être entachée, ils prendraient donc le temps qu’il faudrait pour revenir au village. Il laissa Wokar faire quelques pas tout seul. Resté en arrière le vampire observa les lieux. A n’en pas douter, Terki reviendrait ici à la nuit tombante pour tenter d’achever ce qu’il avait entamé la nuit précédente mais s’il ne trouvait rien, il remonterait sûrement la piste jusqu’au village. Il était inutile de mettre les autres wenja en danger inutilement. Ainsi il s’entailla légèrement le poignet afin de faire couler un fin filet de sang. A mesure que son sang coulait, Jeremiah le cristallisait immédiatement jusqu’à obtenir l’équivalent d’une balle de baseball de sang gelé. Il la plaça ensuite dans la tanière de fortune de Wokar et replaça des branches devant ; il rejoignit ensuite Wokar qui n’avait pas pu s’éloigner de beaucoup.

Durant leur trajet, ils durent faire plusieurs arrêts. Wokar avait besoin de se reposer un tant soit peu et de se restaurer pour reprendre des forces. Jeremiah s’arrêta à un endroit sûr à proximité duquel il avait senti un petit animal. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver l’animal qui n’était autre qu’un gros lièvre. Le vampire le tua sans difficultés et le ramena à Wokar qui avait déjà allumé un petit feu. le chasseur dépiauta le lièvre et le fit cuir avant de l’ingurgiter avec voracité. Ce ne fut qu’au cours de l’après-midi qu’ils revinrent au village. Wokar donna le change pour ne pas perdre la face devant ses camarades. Il demanda simplement de s’entretenir avec Karsay. Wokar demanda à Jeremiah de l’accompagner.

Sous la hutte de Karsay, à l’abri des oreilles indiscrètes, Wokar dévoila à Karsay ce qui était advenu de Terki. Karsay ne sembla pas surpris. Il avait connu une sorte de transe durant la nuit où il avait vu Terki devenir comme le Kuzgwar.

« - Qu’est-ce que Kuzgwar ? » demanda à cette occasion le vampire.

« - Bête nocturne ! Tue et bois jus de vie des wenja ! »

Kuzgwar était donc le mot qu’il donnait aux vampires ... même s’ils ne semblaient en avoir connu qu’un seul jusque-là. Terki était donc le second kuzgwar à errer en Oros. Mais Karsay le contredit et ne décrivit pas Terki comme un kuzgwar mais comme sa proie. Manifestement les wenja n’avaient pas saisi la mécanique de propagation du vampirisme. Peu importe !

« - Cette nuit, moi tuer Terki définitivement ! »

« - Mais toi dire créature rôder autour village ! » fit Karsay.

« - Allumer grands feux cette nuit ! » dit le vampire avant de quitter la hutte de Karsay et le village.

Jeremiah partit rejoindre le lieu où il avait trouvé Wokar. Maintenant qu’il savait où cela se situait, il regagna les lieux bien plus rapidement si bien qu’il fit encore jour lorsqu’il retrouva l’énorme rocher. Il allait devoir être patient. Il bondit dans les branches au-dessus de sa tête et entreprit d’attendre le coucher du soleil.

Pendant ce temps, il réfléchit aux récents événements. Manifestement, les wenja l’avaient recueilli pour qu’il affronte le Kuzgwar. Cela ne faisait aucun doute. Karsay et Wokar en avait parlé à son réveil. Même s’il ne comprenait alors pas un traître mot de leur langage, il était sûr d’avoir entendu ce mot durant leurs échanges.

Ses pensées furent dérangées par l’irruption d’une laie et de ses petits. Dans l’affût qu’il était et adapté à la vie wenja, il se surprit à être prêt à bondir sur ces proies potentielles. Mais il se reprit ; il n’était pas là pour ça. Les sangliers s’arrêtèrent un instant avant que la mère ne donne le signal de repartir, permettant au vampire de replonger dans ses pensées.

Qu’était ce Kuzgwar au juste ? Et comment était-il apparu sur ces terres primitives ? L’origine des vampires avait toujours était sujet à grands débats. Plusieurs semblaient être apparus "spontanément" suite à de grandes épidémies ou à de longues périodes de famine. Mais il s’agissait alors de villages conséquents, pas de campements comme était ce rassemblement de wenja. L’apparition des vampires remontait-elle à des temps aussi reculés de l’humanité ? Pas étonnant que personne n’en ait jamais rien su. Dans un environnement aussi peu densément peuplé d’humains, un vampire devait périr de faim assez rapidement.
Jeremiah se remémora alors les paroles de Karsay lors de sa première nuit dans le village wenja. Lorsqu’il lui avait décrit leurs anciens ennemis, les udam, il les avaient qualifiés de cannibales. Une pratique à laquelle ils avaient dû s’adonner afin de passer les hivers rigoureux qui avaient emprise sur leur territoire. Cela collait parfaitement avec certaines découvertes paléontologiques retranscrites dans les banques de données de l’Unicorps. Il avait été retrouvé sur les os de certains hommes des cavernes des traces de dents humaines, preuve que le cannibalisme avait bien lieu entre membres de tribus différentes. Et si certaines de ces marques étaient celles laissées par des vampires préhistoriques ?

Quoi qu’il en soit, il en aurait bientôt le cœur net. Le soleil disparaissait à l’ouest. S’attendant à voir apparaître Terki aux dernières secondes du coucher du soleil, Jeremiah vit sa patience être mise à l’épreuve. L’agresseur de Wokar fut porté aux grands absents. Pourquoi n’était-il pas déjà là ? C’est pourtant ce que tout vampire nouvellement créé aurait fait ; revenir là où il avait laissé une proie blessée ... surtout dans un environnement pareil où peu de personnes étaient susceptibles de lui porter secours. Quelque chose n’allait pas. Il ne savait pas quoi, mais Jeremiah sentait dans ses tripes que quelque chose clochait.
Alors qu’il allait quitter son poste d’observation, un bruit l’immobilisa. C’était un son étouffé, à peine plus fort qu’un bruissement. Quelque chose approchait. Jeremiah guetta les fourrés, prêt à voir surgir Terki à tout moment. Mais rien ne vint. Était-ce un petit animal ? Il n’en était pas sûr.

Ce ne fut que trois heures après le coucher du soleil que finalement sa cible apparut. Bien que d’apparence humaine, la démarche de Terki trahissait son appartenance à la caste des vampires. Pour un œil averti cela sautait aux yeux. Il avait un zest de prédation dans ses déplacements, comme s’il était tendu et prêt à bondir sur quiconque lui aiguiserait l’appétit. Malgré l’absence de lune en cette nuit, la peau de Terki paraissait étrangement pâle pour un être humain lambda. Approchant indubitablement de la cache de Wokar, Terki s’arrêta soudainement. Quelque chose l’avait interpellé. Il se mit à scruter les alentours autour de lui. Avait-il senti la présence de Jeremiah ? Non, c’était impossible aux yeux de ce dernier qui reprit son avancée vers la cache de Wokar, le sourire aux lèvres. Il arracha avec brutalité les feuillages masquant le terrier et ne sembla pas étonné de ne pas y retrouver son frère wenja. Néanmoins, il ne s’attendait pas à y trouver une telle balle de sang gelé. C’était le moment !

Jeremiah bondit des branches droit sur Terki. Bien qu’obnubilé par la balle de glace, Terki sentit l’arrivée de Jeremiah. Faisant un vif pas de côté, il esquiva in extremis la ruade qui lui était destinée. Sa réaction fut des plus primitives et il se jeta immédiatement sur Jeremiah. Mais celui-ci avait envisagé cette esquive et s’était préparé à une éventuelle riposte. A peine Terki bondit-il sur lui qu’il le repoussa violemment avec une poussée télékinésique. Même si l’instinct de Terki était développé, il ne pouvait rien faire face à la puissance d’un vampire tel que Jeremiah. L’affrontement était joué d’avance, résister ne lui procurait que quelques secondes supplémentaires.

Le dos de son adversaire fracassé contre un épais tronc d’arbre, Jeremiah relâcha son emprise. Terki glissa le long du tronc et s’affaissa par terre. Bien qu’il savait sa mort imminente, il avait le sourire aux lèvres. Était-il reconnaissant envers Jeremiah de mettre fin à cette non-vie ? Non ! C’était autre chose. Depuis le coucher du soleil, Jeremiah savait que quelque chose n’allait pas. Il s’approcha de Terki et l’attrapa par les cheveux.

« - Pourquoi toi sourire ? »

Mais Terki ne répondit pas, son sourire comme figé sur son visage. Il cracha un peu de sang par terre mais ce fut tout.

« - Qui t’a créé ? » lui demanda Jeremiah en forçant le ton.

Mais encore une fois Terki ne répondit pas. Il se contenta de regarder Jeremiah droit dans les yeux.

« - Dusyagi puissant ! » finit-il par dire.

Pourquoi Terki l’appelait-il ainsi ? Lui et tous les wenja avaient fini par l’appeler par son prénom. Terki toussa un coup.

« - Wenja faibles ... » ajouta-t-il.

Terki avait-il voulu simplement devenir plus fort ?

« - Mais Dusyagi imbécile ... Kuzgwar rusé ».

Jeremiah comprit alors ce qui n’allait pas. Tout ceci n’avait était qu’un piège qui lui était destiné, visant à l’éloigner du village. Jeremiah fronça des sourcils.

« - Terki traître, Terki mort ! »

Jeremiah le souleva par télékinésie à plusieurs mètres au-dessus du sol. Arrivé à une certaine hauteur, il lui expédia deux pieux de glace qui se fichèrent dans ses épaules et l’agrafèrent au tronc derrière lui. Au lever du soleil, il connaîtrait une fin horrible.
Après avoir réglé le sort de Terki, Jeremiah s’envola telle une fusée droit vers le village wenja. Il ne lui fallut que quelques minutes pour parcourir la distance avant de distinguer le dit village. Il se mit à sourire en voyant les feux, les wenja l’avaient écouté. Mais plus il s’approchait et plus il se disait qu’ils l’avaient trop bien écouté. Finalement il comprit que ce n’était pas ce qu’il croyait. Le village avait été incendié, il brûlait entièrement.
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A suivre dans le chapitre 420 - Kuzgwar