Terre ??? - An ???

Aussi miraculeusement que cela fut possible, Jeremiah était arrivé à passer la brèche créée par l’engrenage de déchirement temporel du démon Marbas. Se servant de ses ailes pour planer, il jeta un coup d’œil aux alentours. Où qu’il soit arrivé, ce n’était pas l’enfer. L’obscurité régnait. La seule source de lumière notable était celle prodiguée par la brèche temporelle. A peine eut-il le temps de se retourner pour la regarder qu’elle disparut. La dernière image qu’il vit fut le dos de Marbas.

L’adrénaline coulant à flot dans ses veines, Jeremiah posa le pied au sol. Il s’inspecta rapidement. Il avait ses deux jambes et ses deux bras. Ses ailes aussi semblaient intactes. Il était indemne. C’est alors qu’il sentit une goutte lui tomber dessus. Puis ce fut une autre et d’autres encore par dizaines. Il commençait à pleuvoir mais il était surtout temps qu’il s’enquiert du lieu et de la date où il était arrivé.

Il embrassa le paysage d’un regard. Malgré la nuit et la pluie provenant d’un orage en approche, ses facultés nyctalopes lui révélèrent dans quel environnement il était arrivé. Il y avait de la végétation, des arbres, de l’herbe. Un sentier se dessinait sur une terre dont il connaissait les estafilades, celles des roues de plusieurs chariots. Au loin, il décela les contours d’un petit hameau. Cela ne faisait aucun doute : il était arrivé sur une Terre. Mais était-ce la sienne ? Se souvenant des événements précédant son arrivée dans cette dimension, les démons de Marbas n’avaient pas eu l’air d’éprouver de difficultés à cibler la bonne dimension. C’était plutôt l’époque qui leur avait posé problème. Alors si il était bien sur la Terre 531 ... quand était-il ?

Son arrivée de nuit était une aubaine. Personne ne verrait son apparence actuelle et ce n’était pas plus mal. Quelle que soit l’époque où il avait atterri, son apparence aurait dérangé ... pour le moins que l’on puisse dire. La première fois qu’il avait revêtu cette apparence, il lui avait fallu s’astreindre de boire du sang plusieurs semaines durant. Mais depuis, il lui était venu une idée pour passer d’un état à un autre plus rapidement. C’était bien plus éprouvant mais au moins il pourrait passer pour un être humain plus rapidement. S’assurant que personne ne le voyait, il se mit à régurgiter le sang que le Vagabond Rouge lui avait fait boire. Petit à petit, à mesure qu’il se vidait de ce sang nauséabond, son apparence redevenait progressivement humaine. Ses griffes se rétractèrent, sa musculature reprit des proportions plus humaines et ses ailes tombèrent en cendres, comme brûlées. En l’espace de cinq minutes, il était redevenu l’humain à la peau de nacre et à la chevelure argentée que tous connaissaient. Bien qu’il se sente barbouillé, il avait conscience qu’un autre obstacle allait se dresser s’il devait se fondre dans une quelconque foule : son accoutrement. A en juger le hameau, il n’était plus à l’âge de pierre et il se doutait que les peaux de bêtes n’étaient plus à la mode depuis un bail.

Au-dessus de sa tête, l’orage grondait. Au sol, le sang régurgité ruisselait sous la pluie qui devenait battante. Dans quelques minutes, ce vomi ne serait plus qu’un désagréable souvenir. Ce n’était pas plus mal, il ne voulait pas avoir sur la conscience la création d’un quelconque nouveau Lestat.

Jeremiah resta sur place durant ces quelques minutes pour s’assurer que tout ce sang ne serait plus consommable par une quelconque créature. Après quoi il se mit en marche vers le hameau afin de tenter de déterminer à quelle époque il pouvait se trouver. La pluie ne le dérangeant pas, et préférant se montrer prudent, le vampire marcha à un rythme modéré. Autour de lui, c’était la campagne. Ici, les champs avaient été labourés. Là, un champ de blé avait été fauché. Cela lui rappelait quelque peu son passage sur la Terre 8451, lorsqu’il avait été au service de Lionel. Un court moment de quiétude avant leur confrontation avec Barbatos.

Alors que son esprit se perdait dans ses souvenirs, un éclair zébra le ciel ; il allait à la rencontre de l’orage. Alors que les éclairs et le tonnerre s’enchainaient, un phénomène peu naturel eut lieu. Le tonnerre retentit d’abord puis vint une lumière éblouissante. Une lumière vive et blanche qui l’aveugla complètement. Mais au-delà de cela, l’éclair semblait s’éterniser. Au fil des secondes, Jeremiah savait que quelque chose n’allait pas. Pire que l’aveuglement, il était paralysé. Était-il soumis à une quelconque magie entravante ? Il forçat autant qu’il le put pour ne serait-ce que bouger un muscle. Le même phénomène qui était arrivé en Oros eut à nouveau lieu. Ses iris se mirent à scintiller à mesure que le vampire se concentrait. Au fil des secondes, il sembla regagner un semblant de vision. Tout le paysage autour de lui était baigné d’une vive lumière. Si c’était un sort, il n’était pas localisé et il ne devait pas en être la cible. Sa vue s’habituant à la clarté de la scène, il put déceler les gouttes de pluie. Elles étaient comme figées. C’était comme si le temps avait été suspendu. Que se passait-il ? Son arrivée était-elle la cause de ce phénomène ? C’est alors qu’il vit quelque chose qui attira son attention. Deux silhouettes descendaient du ciel au sein d’un éclair de lumière vive figé ; deux silhouettes ailées.

..oO( Des anges ?) pensa le vampire.

Se focalisant dessus, Jeremiah ne put distinguer leur visage mais semble-t-il que l’un d’eux portait quelque chose de relativement petit et cubique ... une sorte de coffret ? Bien que désirant ardemment savoir ce que manigançaient ces deux anges, le vampire ne parvenait toujours pas à bouger d’un millimètre. Une éternité sembla passer lorsqu’il vit les deux anges s’envoler, sans le coffret. Qu’en avait-il fait ? Que contenait-il ?
Les anges disparus, l’éclair qui leur avait servi de vaisseau se dissipa et le temps reprit son cours. Aussi brutalement libéré, le vampire trébucha en avant. Le visage plein de boue, il se releva et s’essuya. Puis il s’élança au plus vite.

Durant ce gel de temps, il avait eu tout le temps d’appréhender le lieu où l’éclair avait frappé et où les anges étaient descendus. Il s’agissait du hameau vers lequel il se dirigeait. Il fendit l’herbe et se précipita au sein du minuscule village. Il était tard et aucune des maisons n’était éclairée. Tout le monde dormait paisiblement malgré l’orage qui tonnait encore au-dessus de leurs têtes. Qu’est-ce que ces anges étaient venus faire ici ?

Jeremiah se mit à rôder dans les rues. Les maisons étaient faites en pierres mal taillées. Les portes étaient taillées dans un bois épais. Les rues étaient boueuses et pierreuses. Étrangement, ce lieu lui semblait familier.

Rôdant toujours, il se mit à observer l’intérieur des maisons à travers les fenêtres. Les intérieurs étaient spartiates, les gens semblaient vivre une vie des plus simples mais néanmoins laborieuses. Quelle que soit la maison qu’il épiait, elle semblait héberger des artisans ou des fermiers. Puis, à l’approche d’une maison, il fut inexplicablement attiré par son architecture, sa configuration ou quoi que soit d’autre. Le vampire se tendit sensiblement. C’était comme si ses sens lui signalaient un quelconque danger qu’il ne percevait pas encore. Mais était-ce bien un danger qu’il semblait ressentir instinctivement ? Il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus et cela l’intriguait au plus haut point. Il fit le tour de la maison mais ne vit rien de concluant à travers les vitres. Sa curiosité poussée au plus haut point, il poussa discrètement la porte de la maison. Elle ne grinça pas, pas comme le vampire l’avait craint. Il ne semblait pas le redouter. Il se tint là sur le seuil de la porte durant quelques secondes ; tiraillé entre ce que sa soudaine curiosité le poussait à faire et l’hésitation d’avancer et d’en savoir plus. A l’intérieur, Jeremiah distingua un couple blotti l’un contre l’autre dans leur lit conjugal. Soudain, un éclair frappa le hameau. Entre le bruit assourdissant et la lumière vive qui pénétra dans la maisonnée, cela réveilla en sursaut le couple. Réactif, le vampire se glissa instinctivement dans la maison et se dissimula dans son angle le plus sombre.

L’homme, un rude gaillard se leva dans la plus simple tenue et s’avança vers la porte grande ouverte. Il observa un instant dehors. Avait-il vu Jeremiah dans l’encadrement de la porte ? Non ... peut-être.

« - Gérard ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Si jamais cet homme, Gérard, l’avait vu, il finit par mettre cela sur un tour de son imagination. Il referma la porte et la bloqua avant de retourner au lit.

« - Rien, juste la porte qui s’est ouverte. Rendors-toi ma Lucette ».

Le couple se blottit à nouveau l’un contre l’autre et le vampire attendit qu’ils se soient bien rendormis avant de sortir de sa cachette. Il émergea de l’obscurité tel un fantôme. Sans un bruit, il observa l’intérieur de la maison. A en voir les habits du couple qui reposaient sur une vieille chaise, il semblait que Jeremiah avait atterri au Moyen-âge. Les habits de l’homme sentaient l’animal. Pas que son odeur à lui mais celles d’un bétail, plusieurs têtes bovines. Le bas de son pantalon taché de boue indiquait qu’il était au contact de ces bêtes quotidiennement. Quant à la jeune femme, sa tenue était quelque peu plus soignée. Il vit alors dans un coin un nécessaire de couture et plusieurs étoffes de tissus. Elle était couturière. Une aubaine. Sans hésiter longuement, Jeremiah se saisit du premier pantalon et de la première chemise qui lui allaient à peu près.

Néanmoins, il n’y avait rien ici qui expliquait pourquoi cette maison l’attirait autant. Le couple semblait des plus banals. Était-ce à eux que les anges étaient venus rendre visite ?
C’est alors qu’un scintillement attira son attention. Il s’agissait d’un petit bout de métal doré au pied de leur lit. Intrigué, le vampire s’en approcha et au moment où il voulut le saisir, le bout de métal disparut en étincelles. Qu’est-ce que cela pouvait bien avoir été ? En tout cas, il n’appartenait pas à ce couple mais plus sûrement aux anges venus leur rendre visite. Car de toute évidence, c’était bien eux qu’ils étaient venus voir. Alors pourquoi ? Qu’avaient-ils de si spécial ?

Jeremiah se releva et observa le couple dans le lit. Il s’éleva par télékinésie au-dessus de leur lit pour mieux observer leurs visages. Celui de Gérard ne lui disait rien. Quant à celui de Lucette, il était partiellement masqué par ses cheveux. Délicatement, Jeremiah les écarta pour découvrir son visage. C’était celui d’une femme douce mais au-delà de cela il ne lui disait rien. Soudain, il écarquilla les yeux.

« - Non ! » fit-il à voix haute en revenant au sol.

Sa voix réveilla à nouveau le couple. Gérard se redressa d’un coup sur le lit. Il vit la silhouette de Jeremiah. Sans connaître un seul instant de peur ou de crainte, il se releva.

« - Qui es-tu toi ? Qu’est-ce que tu fiches chez moi ? »

Mais Jeremiah ne laissa pas la situation s’envenimer d’avantage. Il se rua dehors en claquant la porte. Gérard s’élança à son tour à la porte et s’immobilisa face à la pluie battante. Mais surtout parce qu’il avait déjà perdu de vue leur visiteur.

« - REVIENS-Y VOIR, TIENS ! » cria-t-il dans l’obscurité.

« - TA GUEULE, GÉRARD ! » lança alors un voisin.

Gérard referma la porte et revint vers Lucette qui s’était relevée également.

« - Foutre dieu ! » jura Gérard

« - Ne blasphème pas ! » répondit Lucette.

« - Qu’est-ce que ce malotru nous voulait ? »

Lucette alluma une chandelle et observa son intérieur. Elle découvrit bien vite le larcin du vampire.

Quand à ce dernier, il était arrivé à la sortie du hameau. Un éclair illumina un panneau de bois grossièrement taillé et sur lequel avait été sculpté le nom de "Ouges".
Jeremiah sut dès lors qu’il était revenu sur la Terre 531 et, plus important, à quelle époque ! Il était revenu peu de temps avant 1218, l’année qui vit sa venue au monde. Il venait de faire la rencontre de ses futurs parents.
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A suivre dans le chapitre 425 : la Vie au Moyen-Âge.