Terre 531 - An 1250 - France - Champagne

Jeremiah et Blanche s’étaient établis en Champagne sans difficultés. Ils avaient trouvé un petit lopin de terre sur lequel ils avaient commencé à fonder une petite maison rustique. Sans être inquiétés, ils avaient commencé également à cultiver la terre. Mais ce n’était qu’un simulacre. Jeremiah tout comme Blanche savaient parfaitement que cela ne durerait que peu de temps ... jusqu’à la date fatidique où le vampire quitterait sa fille adoptive par devoir.

Ce jour-là arriva bien plus vite que Blanche ne l’aurait cru. Bien qu’il ne fasse aucun bagage, Blanche avait noté un changement dans le comportement de son père. En cela, elle ne se trompait pas. Jeremiah la prit dans ses bras et lui fit ses adieux. Il lui confia tout l’amour qu’il avait pour elle et qu’il savait qu’il serait digne de ce qu’elle allait accomplir dans sa vie. Les larmes aux yeux, le vampire dit adieu à sa "petite Blanche" tandis que la jeune femme, tout aussi émue, lui adressa un "au revoir" après l’avoir serrée dans ses bras une dernière fois.

Une fois Blanche quittée, Jeremiah essuya les dernières larmes qui avaient coulées le long de ses joues. Fronçant les sourcils exagérément, le vampire tenta de se focaliser sur son objectif ; car s’il écoutait son cœur, il resterait auprès de sa fille. Après tout, en rejoignant ses compagnons dans leur quête pour affronter et défaire Moloch, il protégerait toutes les Blanche du Multivers. Cela ne le consola pas énormément mais lui permit de se concentrer à nouveau.

Cette journée était cruciale pour lui, à double titre. Non seulement à la nuit tombante son lui humain deviendrait vampire mais c’était également la première occasion depuis qu’il était revenu sur cette Terre de changer d’époque.

Il se souvenait parfaitement de cette nuit fatidique comme si c’était hier et de tout ce qui s’était passé auparavant. Il y avait certaines zones d’ombre qu’il devait néanmoins éclaircir. A l’époque, il n’était pas aussi alerte et n’avait pas non plus les sens aussi aiguisés que maintenant. Il s’immisça sans aucune difficultés dans le couvent où il avait été recueilli après sa désertion des rangs des Templiers. Il faut dire que la bure qu’il s’était confectionnée le faisait parfaitement passer pour un des moines du cloître. De plus il savait quelle attitude adopter pour se faire passer pour un moine ayant fait vœu de silence. Personne ne l’approcha, respectant trop son vœu sacré. Sous les alcôves, il observa son jeune lui déterrer des pieds de pommes de terre à l’aide d’une fourche ... jusqu’à ce que deux moines ne l’accostent. Jeremiah ne se souvenait plus du nom du moine qui allait prendre sa place, en revanche, il se souvenait parfaitement du nom du frère qui ordonnait cet échange. Le frère Ubald. Un sadique doublé d’un pédophile qui en avait systématiquement après lui à l’époque et qui allait envoyer son jeune lui nettoyer les latrines dans les secondes à venir.

Et cela ne manqua pas. Le jeune Jeremiah passa sa fourche au moine anonyme et prit la direction des latrines. Néanmoins, le Jeremiah vampire ne le suivit pas immédiatement. Il observa les agissements du frère Ubald. Il se souvenait parfaitement qu’un démon prendrait prochainement sa place dans son corps. Il ne lui vint même pas à l’idée de tenter de le sauver. C’était hors de question. D’une part car il ne le méritait certainement pas et d’autre part cela changerait sa propre destinée, ce dont il n’était pas question.

Toutefois, le vampire se souvint avoir ressenti une présence dans les latrines pendant qu’il les nettoyait. Se remémorant cette journée, il avait toujours cru qu’il s’agissait d’un démon qui le surveillait. Il devait en avoir le cœur net et si tel était le cas, peut-être parviendrait-il à lui soutirer l’information dont il avait besoin. Le vampire se dirigea alors droit vers les latrines tout en restant le plus discret possible.
A peine fut-il entré que l’odeur nauséabonde des lieux se rappela à lui. Il avait oublié combien cette pièce pouvait empester. Néanmoins, vampire qu’il était, il pouvait fort bien se passer de respirer et donc de sentir cette puanteur à la limite du soutenable. Ce dont il se souvenait, en revanche, c’était la faible luminosité procurée par les bougies. Cela lui permettrait de se tapir dans un coin sans être vu. Les heures passèrent et aucun signe d’un quelconque démon. En revanche, son lui plus jeune se retourna plusieurs fois ... comme s’il sentait sa propre présence. Le vampire comprit qu’il n’y avait jamais eu de démon durant toute la journée. La présence qu’il avait ressentie jusque-là avait été ... la sienne !

Toutefois, peu avant 17 h, la donne changea. Le vampire sentit une présence s’approcher et pénétrer les latrines. Parfaitement habitué à l’obscurité des lieux, le vampire reconnut la créature avant qu’elle ne le voit. Il s’agissait d’un démon ... ou du moins d’un humain possédé par l’âme d’un démon. A en voir les turgescences sous la peau de son visage, cela faisait quelques heures déjà qu’il était possédé. Néanmoins son gabarit restait assez frêle. Serait-ce l’un des invocateurs qui participeraient au rituel que son jeune lui allait subir ?
Peu importe, il était trop tôt. Il devait le faire fuir. Le vampire adopta une respiration plus rauque et son regard s’illumina de rouge. Le possédé se retourna vers lui. Usant de ses capacités de télékinésie, il souleva des pans de sa bure, faisant croire qu’il déployait des ailes. Le possédé déglutit avant de repartir d’où il était venu.
Reportant son attention sur son jeune lui, il le vit regarder dans sa direction sans le voir ... ou du moins ne voyant qu’une fraction de seconde son regard écarlate. Reculant silencieusement dans un coin, il se fit oublier. Son jeune lui finit par mettre cela sur le compte de son imagination et reprit son raclage des latrines.

Finalement, son jeune lui sortit des latrines à l’aurore. Le vampire le suivit et l’observa se rafraîchir. Il vit alors le frère Ubald s’approcher de lui. Son langage corporel trahissait le fait qu’il était déjà possédé. Tout se mettait en marche. Sans que le vampire ne s’en rende compte, sa tension commençait à grimper.

Tout se déroula rapidement, bien plus que dans ses souvenirs. La découverte du champ empli des cadavres des moutons, l’assemblée de démons encerclant son jeune lui. Le rituel débutant et les remparts de monolithes érigés contre la horde de vampires qui se déversait sur les démons pour enrayer le rituel ... Puis l’explosion qui mit fin à tout cela en ravageant tout à 500 mètres à la ronde. Le vampire resta sur place durant les trois heures qui suivirent. Il avait espéré qu’un quelconque possédé ait survécu et se traîne jusqu’à un portail temporel qui le ramènerait auprès de Marbas en enfers. Mais rien. Les combats et l’explosion qui avait clôs le tout n’avait laissé aucune chance aux belligérants. Le vampire serra les dents. Même si retourner en enfers ne le réjouissait pas, c’était sa première solution pour quitter cette époque.

Toutefois, il en avait peut-être une autre. Ce n’était pas sûr qu’elle existe car elle ne reposait que sur une supposition. Il n’avait jamais eu la preuve que cela s’était passé ainsi.
Lorsqu’il vit le groupe de Damian venir récupérer son jeune lui, Jeremiah les suivit à bonne distance afin de ne pas être repéré. Même s’il les suivit jusqu’à leur campement provisoire sans se faire repérer, il se sentit épié à plusieurs reprises. Malgré les dispositions qu’il prit pour surprendre un éventuel observateur, il n’en trouva aucune trace. Sûrement son imagination se dit-il. Après tout, il était quelque peu stressé de revivre son passé d’un œil extérieur et ses sens devaient être exacerbés au possible.

Après deux heures supplémentaires, tandis que la nuit était bien avancée, le vampire vit l’apparition qu’il espérait. Une lumière blanche et diffuse s’avançait à travers la plaine droit sur le campement de Damian. A cet instant bien précis, son jeune lui était assoupi, exténué par le rituel et la transformation qu’il venait de subir. Pas étonnant donc qu’il ne se rappelle pas de cela ... mais le vampire n’en était pas pour autant surpris. Il se doutait bien qu’elles avaient gardé un œil sur eux depuis leur transformation jusqu’à l’invitation à les rejoindre.
La lumière qui s’avançait dans la plaine n’était autre que le dimonaute à l’effigie de la deinone Zilimah qui venait s’enquérir de l’échec du rituel qu’elle avait commandité.

S’il se souvenait bien du jour où elle était venue le chercher, son dimonaute n’était pas passé par quatre chemins pour rejoindre le vortex lumineux qui l’amènerait à la Cité Miroir. Donc en observant la trajectoire qu’avait adoptée son dimonaute ce soir, il allait pouvoir localiser approximativement le vortex présent. C’était là sa dernière chance de quitter cette époque.

Ne tardant pas une seule seconde, le vampire s’élança et prit la direction inverse du dimonaute. Volant à toute vitesse, il ne tarda pas à apercevoir le dit portail. Les deinones l’avaient ouvert au beau milieu d’une clairière entourée d’arbres. La lumière du portail donnait un aspect fantasmagorique à ce lieu. C’était presque beau à voir. Jeremiah posa pieds à terre juste en face du portail de lumière blanche. Son aspect ne l’étonna pas. Il était le même que son jeune lui emprunterait d’ici cinq ans. Il s’avança puis connut un moment d’hésitation. De quelle nature était ce portail ? Le démon Nialgrim, qui était au service des deinones à cet instant, leur servait de transporteur via l’Antre des Vers et des vortex aussi sombres que la nuit elle-même. Et pourtant, derrière ce portail de lumière blanche, il allait se retrouver au sein de l’antre. C’était un mystère auquel il n’avait pas encore pris soin de réfléchir.

Sortant de ses réflexions, Jeremiah jeta un coup d’œil en arrière. Le dimonaute de Zilimah ne revenait toujours pas. Il devait se décider avant cela. Il tenta de discerner quoi que ce fut-ce à travers le portail mais la luminosité de ce dernier empêchait de voir quoi que ce soit. Le vampire se retourna une dernière fois, ayant une pensée pour Blanche, puis franchit le portail.
_____________

Cité Miroir - Année 2016

« - Maîtresse Zilimah ! Je détecte un intrus dans l’antre des vers en provenance de 1250 ! » signala une opératrice deinone, allongée sur son fauteuil, les doigts pianotant sur une interface holographique.

La deinone Zilimah ouvrit un écran holographique lui montrant des tracés anormaux au sein du tunnel ouvert entre son époque et l’année 1250.

« - Dois-je refermer l’antre des vers, Maîtresse Zilimah ? »

Zilimah observa consciencieusement les relevés.

« - Non ! Envoyez Nialgrim régler le problème ! »
_____________

Antre des Vers - Entre deux époques

Jeremiah avançait prudemment sur les dalles de pierre de l’antre qui se levaient à mesure qu’il avançait. Quelque chose n’allait pas. Il ne l’avait pas remarqué la première fois, mais aujourd’hui, après avoir emprunté l’antre à maintes reprises, le vampire se rendait compte que quelque chose n’allait pas. L’antre ne semblait pas être comme d’habitude. C’était comme si l’air ambiant était saturé d’une tension presque palpable. Et puis surtout, hormis les éclairs qui crépitaient, l’antre n’était pas silencieux. Une sorte de grondement continu se faisait entendre.

« - Qu’avons-nous là ? » fit une voix perfide.

Avant même de se retourner pour le voir, le vampire reconnut la voix sifflante de Nialgrim. Jeremiah se détendit, presque amusé de le revoir ainsi. C’est alors que le vampire se dit qu’il ne devait pas lui permettre de le reconnaître. Immédiatement, il se couvrit partiellement le visage d’un masque de glace. Pour ne pas éveiller de soupçon, il recouvrit son corps d’une armure de glace partielle également.

« - Tu n’es donc pas un humain ordinaire. Tant mieux, je me serais ennuyé sinon ! »

« - C’est certain, quel os t’auraient-elles donner à ronger sinon ? »

Le visage de Nialgrim se renfrogna en comprenant l’allusion canine.

« - Tu sembles savoir qui je suis. Moi, en revanche je ne sais pas qui tu es ; ce n’est pas très poli ».

« - Et ça restera ainsi ! »

« - Que tu dis ! J’ôterais cette glace pour découvrir ton hideux visage une fois que je t’aurais fais taire ! »

A ces mots, le démon lança une foudre dorée droit sur le vampire. Celui-ci, s’attendant à une telle attaque, la dévia d’un discret panneau télékinésique.

« - Ça m’étonnerait ! Mais je ne suis pas venu me battre ! »

« - Qu’es-tu venu faire alors ? »

« - Emprunter votre moyen de transport temporel ! »

« - Qu’est-ce qui te fait croire que c’est un moyen de transport temporel ? »

« - L’antre ! Elle n’est pas comme d’habitude ! Qu’est-ce que tu lui as ... »

Le vampire s’interrompit alors. Il se souvint que dans le futur du démon, il porterait une rune de contrôle infligée par les deinones et pire, qu’il perdrait une main dans des circonstances qui lui étaient inconnues. Si le démon avait la possibilité de forcer l’antre à voyager d’une époque à une autre en plus qu’entre deux dimensions ... Pourquoi ne s’était-il pas employé à rectifier ces mésaventures ?
Jeremiah comprit alors que le démon avait certes les moyens d’ouvrir l’antre entre deux dimensions mais qu’il n’avait pas les ressources pour l’utiliser autrement. Et puis cette lumière blanche dont était composé le portail lui rappelait plus la lumière omniprésente au sein de la Cité Miroir. Se pourrait-il que les deinones aient réussi à voyager dans le temps en combinant la technologie avancée de la Cité Miroir et l’Antre des Vers ? C’était la seule explication possible.

« - Comment les deinones font-elles pour transformer l’antre en voyage temporel ? » fit alors Jeremiah.

« - Tu commences à m’agacer petit ! »

« - Comme c’est étonnant ! » répliqua le vampire, amusé.

« - Mais si tu as des questions à poser aux deinones, autant les poser à l’une d’entre elles. Zilimah est justement de retour ! »

Stupéfait, le vampire ne put s’empêcher de se retourner ... pour ne voir qu’un tunnel vide. Le démon l’avait berné. Il n’eut pas le temps de se retourner que déjà il était frappé par une surpuissante décharge d’énergie dorée. Mettant un genou au sol, le vampire accusa le coup. C’est alors que Nialgrim créa un arc électrique noir entre les doigts de sa main droite. Il le déclencha en direction du vampire. Celui-ci érigea un bouclier in extremis pour voir l’éclair frapper la dalle de pierre sur laquelle il se trouvait. Il n’eut pas le temps de s’en amuser qu’il vit la dalle se désagréger en un clin d’œil, le précipitant dans le vide en dessous.

Sans pouvoir se rattraper à quoi que ce soit, sa télékinésie fut inefficace. Éloigné de l’allée de dalles, le vampire sentit son corps franchir une barrière invisible. Dès lors la tension qu’il ressentait se dissipa. Il entama une chute sans fin dans les tréfonds de l’antre.
_____________

Cité Miroir - Année 2016

« - Nialgrim a éliminé l’intrus, Maîtresse Zilimah ! »

« - Parfait ! Envoyez-le en 1250 garder l’entrée du tunnel ! »
_____________

A suivre dans le chapitre 436 : Ter repetita