Terre 531 - An 1250 - France - Champagne

Durant les quelques mois qui avaient suivi leur retour en France, Blanche n’avait pas caché son plaisir de partager la vie de son père durant ce laps de temps. Elle s’était efforcée de l’accaparer tout ce temps afin qu’il ne pense pas à autre chose ... comme son grimoire par exemple. Jeremiah et elle l’avait feuilleté une fois afin qu’elle voit ce qu’il y avait d’écrit. Ceci dans l’objectif qu’elle prenne sa relève une fois qu’il serait parti. Elle avait alors claqué violemment le livre, ne désirant pas encore y penser.

Puis le jour fatidique arriva. Blanche le ressentit dès la veille. Elle sentait que son père vivait ces derniers instants comme les derniers qu’il vivrait en sa compagnie. Même s’il tentait de lui dissimuler ses émotions, Blanche avait vécu trop longtemps avec lui pour y parvenir. De son côté, elle ne tenta pas de les masquer mais de les simuler. Elle savait qu’elle était tout aussi inefficace à cela que son père à l’inverse. Elle passait pour quelqu’un de froid, presque en colère contre son père qui allait l’abandonner. En même temps, qui ne le serait pas ? Même si c’était pour une cause supérieure, elle ne le digérait pas. Mais avait-elle à le faire ? C’en était moins sûr. Ainsi lorsque son père lui fit ses adieux, Blanche se contenta de lui dire simplement au revoir ; car elle comptait bien faire en sorte que ce ne soit que cela, un au revoir.

Une fois Jeremiah parti, Blanche sortit d’une cachette la page du grimoire qu’elle avait déchirée à Mahalla. Cette page récapitulait tous les voyages temporels dont son père avait le souvenir ou qu’il supposait. C’était une véritable carte qui allait lui permettre, elle en était sûre, de le rejoindre.
Que son père se rende dans un endroit aux mille dangers, elle n’en avait cure. Elle ne comptait pas rester ici, seule, en cette époque qui l’avait rejetée. Puisque un voyageur du temps l’avait sauvée de son destin funèbre alors elle n’avait plus sa place en ce temps. De la même cachette, elle sortit une bure qu’elle s’était confectionnée en secret avec les rejets généré par la confection de la bure de son père. Elle avait un aspect rapiécé et devrait donc se méfier tant qu’elle la porterait de jour. En revanche, de nuit, cela ferait parfaitement illusion estima-t-elle. Puis elle déplia la page et la consulta à nouveau. Il faut dire qu’elle n’avait eu guère loisir de la consulter depuis qu’elle l’avait enlevée.
Elle observa la section correspondant à son époque. Elle y vit inscrits deux points d’interrogation. Le premier concernait le lieu du portail infernal que Jeremiah comptait emprunter et le second concernait l’existence d’un second portail ouvert par des deinones. Blanche ne savait pas ce qu’était un ou une deinone mais elle comptait bien cibler ce portail si jamais il existait. En effet, elle supputait que son père choisirait la première occasion pour quitter cette époque et donc le portail infernal.

Se servant de bandages pour atténuer ses atouts féminins, Blanche revêtit sa bure et se dirigea vers le couvent qui avait servi de refuge à la jeune version de son père.

Prenant bien garde de ne pas suivre son père de trop près, Blanche arriva en vue du couvent en plein jour. Elle devait se méfier. Elle observa la configuration du couvent et détermina le meilleur point de vue : le clocher. Elle y grimpa avec une facilité déconcertante tout en restant dans son ombre afin de ne pas être vue. De là, elle avait effectivement une parfaite vue. Elle voyait la majorité du cloître et pouvait observer quiconque sortait de la nef pour se rendre au réfectoire, au caveau ou aux latrines. Elle avait également une vue sur les jardins. La personne qu’elle y vit la stupéfia. C’était la version jeune de son père. Elle se doutait qu’elle le verrait tôt ou tard mais le voir ainsi la surpris quelque peu. Puis elle vit son père, observant également sa version plus jeune. Les voir ainsi tous les deux était des plus étranges. Blanche s’abandonna à déceler les différences entre les deux versions de son père. Puis la scène, qui donnait le sentiment d’être figée dans le temps, changea avec l’arrivée de deux moines. Blanche vit la version jeune de son père se tendre au contact d’un des deux moines. Elle reporta son regard sur la version actuelle de son père et le vit se tendre également. Manifestement, ils avaient un passif avec ce moine. Devait-elle s’en occuper ? Puis le moine en question fit s’éloigner la version plus jeune de Jeremiah. Peut-être qu’il n’était pas nécessaire finalement de s’en occuper se dit-elle. Observant la direction du jeune Jeremiah, Blanche comprit qu’il se rendait aux latrines. Il n’était pas nécessaire de le suivre non plus se dit-elle. Néanmoins, ce n’était pas ce que se disait la version plus vieille qui le suivit telle une ombre. Blanche trouva cela curieux mais ne changea pas de position pour autant.

Les heures passèrent sans que quoi que ce soit se passe. C’était d’un ennui mortel. C’est alors que, peu avant que le clocher ne sonne 17h, elle vit un individu louche se faufiler jusqu’aux latrines. A contrario des autres moines, il ne se dirigeait pas vers la partie utilisateur mais bel et bien vers le sous-sol où les deux versions de son père se trouvaient. L’homme ne resta pas longtemps en ces lieux. Il semblait avoir été chassé, ce qui fit sourire Blanche.

Mais après cela, rien ne se passa plus jusqu’à l’aurore, jusqu’à ce que la jeune version de Jeremiah ne ressorte, visiblement éreinté. Elle vit également son père ressortir discrètement des latrines. C’est alors que Blanche vit ressurgir le satané moine. A nouveau, il allait s’en prendre au jeune Jeremiah. Elle ne distinguait pas les échanges mais ceux-ci furent brefs avant que le jeune Jeremiah sorte de la protection du couvent et ne prenne la direction des champs.

Suivant son père du regard, elle le vit suivre son lui plus jeune. Elle descendit donc du clocher d’un bond et les suivit tous les deux. Arrivés aux pâturages, Blanche était trop éloignée pour distinguer parfaitement ce qu’étaient ces corps éparpillés autour du jeune Jeremiah. Néanmoins, si sa vue ne lui permettait pas de distinguer la scène, son odorat compensait sans la tromper. Beaucoup de sang avait été versé et ces corps étaient des cadavres. Devant cette odeur ferrique importante, son regard devint rouge et ses cheveux commencèrent à s’hérisser ... l’espace d’un court instant avant qu’elle ne reprenne le contrôle. Elle avait été prise par surprise mais depuis Mahalla, elle avait appris à reprendre immédiatement le contrôle quand tel était le cas.

C’est alors qu’elle vit une silhouette s’approcher subrepticement du jeune Jeremiah. D’après la bure, c’était un moine ... ou du moins quelque chose se faisant passer comme tel. Blanche se souvenait du récit de son père concernant cette nuit. Il s’agissait d’un démon ayant pris possession du corps du frère Ubald. Il en était de même pour toutes les silhouettes qui se dressaient maintenant autour du jeune Jeremiah. C’était tous des démons ayant pris possession du corps d’humains des alentours, moines ou paysans.
Ces démons débutèrent sans attendre leur funeste cérémonie, dressant une table de pierre sur laquelle ils immobilisèrent le jeune Jeremiah. Lorsque celui-ci se mit à hurler sous la douleur de la fracture due à ses débattements, les démons se mirent à rire. Blanche serra les dents en entendant celui qui allait devenir son père hurler ainsi. Si elle s’écoutait, elle irait à son secours ... mais elle savait qu’elle ne devait le faire en aucun cas. Cela changerait toute la continuité. Celle de Jeremiah mais aussi la sienne. Dieu sait quel destin l’attendait si son père ne l’avait pas sauvée des griffes du père Bartholomé. Son père, qui observait cette scène semblait s’être résigné à observer la scène sans intervenir. Elle devait faire de même. Elle devait laisser le rituel s’accomplir, même si c’était dur, même si nombreuses étaient les raisons de s’en mêler, comme la brume d’âmes fraichement fauchées hurlante passant au-dessus d’elle. Malgré le récit de son père, rien ne pouvait la préparer à un tel cauchemar.

Alors qu’elle allait perdre toute retenue, elle vit les vampires de Damian intervenir. Une véritable guerre débuta alors entre les démons propulsant des boules de feu sur la horde de vampires et les vampires qui, munis d’armes blanches ou d’armes de jets, se lançaient sur eux tout en sachant pertinemment qu’ils couraient à leur perte. C’est alors que Blanche comprit que leur cause dépassait leur simple existence. Qu’ils étaient tous prêts à se sacrifier pour elle. Elle comprit alors comment son père avait pu avoir la volonté de la quitter et l’abandonner à cette époque.

Les démons commençaient à tomber sous les vagues de vampires incessantes. Cela ravit Blanche. Malgré tout quelque chose n’allait pas. Elle ne savait pas encore quoi mais elle sentait que quelque chose n’allait pas. C’est alors que l’un des démons érigea des monolithes de roche en guise de véritable muraille. Soudain la scène fut comme baignée de rouge. Blanche leva les yeux au ciel et vit la lune teintée d’un rouge sanglant. Reportant son regard sur le champ de bataille, elle vit les vampires se faire décimer. Ils ne parvenaient pas à franchir la muraille sans se faire carboniser. Elle voyait mal comment, dans ces circonstances, l’un d’eux pourrait atteindre Jeremiah et le mordre.

Blanche s’approcha alors du champ mais sans pour autant se faire détecter par son père qui observait tout cela également. Ses yeux violacés se mirent alors à rayonner d’une lumière lilas.

Sur le champ de bataille, un dénommé Charles, vampire de son état, agonisait face contre terre. Tout son côté gauche avait été carbonisé. Son bras n’était plus que cendres. Et tandis que son esprit perdait peu à peu toute réalité de la situation, son regard s’enflamma d’une lumière lilas. Le vampire se releva lentement mais sans esquisser une quelconque grimace de douleur. Il resta planté là quelques secondes, observant la muraille de monolithes. Puis il commença à la contourner à l’insu de tous. C’est alors qu’il vit une faille dans la muraille. Il s’y glissa et resta tapi dans l’ombre d’un des monolithes un court moment, comme jaugeant l’instant propice pour agir. C’est en voyant le démon dans la peau d’Ubald lever une dague qu’il sut que c’était le moment. Il se jeta sur Jeremiah et le mordit au cou au moment même où le démon abaissait sa dague. A cet instant, le regard du vampire cessa de rayonner. Empalé sur le jeune Jeremiah, il parvint à lui adresser un ultime message : « - Choisis … ta propre … voie … » avant de se disperser en cendres.

La suite se déroula rapidement. Une gigantesque explosion survint une fois la métamorphose de Jeremiah achevée. Au-delà des 500 mètres sur lesquels l’explosion ravagea tout, Blanche fut impressionnée par un tel déferlement d’énergie.
Après une telle effervescence, le calme qui suivit les heures suivantes parurent d’un ennui mortel pour Blanche. Elle trouva curieux que son père reste tout ce temps sur place. N’avait-il pas l’intention d’emprunter le portail démoniaque ? Pourquoi restait-il sur place alors ?

Ce ne fut que lors du réveil du jeune Jeremiah que tout se remit en branle. C’est au moment où le jeune Jeremiah suivit Damian et ses vampires que la version plus vieille se mit à bouger. Il les suivit à bonne distance et Blanche fit de même. Néanmoins, elle semblait être moins discrète qu’elle ne l’avait pensé. Plusieurs fois, son père semblait avoir détecté sa présence. Il avait alors procédé à plusieurs stratagèmes pour la démasquer. Fort heureusement, elle les connaissait par cœur pour avoir chassé maintes fois avec lui. Ainsi, elle parvint à rester hors d’atteinte si bien que son père sembla se résigner à un tour de son imagination.

Arrivés aux abords de ce qui semblait être le campement de Damian et des siens, une nouvelle période d’attente débuta jusqu’à ce que, deux heures plus tard, une apparition spectrale n’apparaisse. La lumière qui émanait de l’hologramme du dimonaute le fit passer pour un ange aux yeux de Blanche. Il en était de même pour Damian et ses vampires à chaque venue de Zilimah parmi eux ... et c’était l’effet escompté par la deinone.

Le père de Blanche recommença alors à bouger. Il remonta le chemin qu’avait dû prendre cet "ange" et parvint à un portail de lumière. Blanche le vit hésiter longuement. Elle le vit se retourner en arrière, le regard triste avant de s’engouffrer dans ce portail. Sortant des fourrés, Blanche s’approcha à son tour du portail. Le portail de ces deinones existait donc bel et bien. Une chance que son père n’ait pas trouvé celui des démons, ils pourront ainsi se retrouver que plus rapidement.

Sans hésiter davantage, elle passa le portail. A peine eut-elle posé le pied sur la première dalle de pierre de l’antre des vers, qu’elle vit une silhouette rachitique se dresser sur son chemin.

« - Tss ! On laisse entrer n’importe qui ici, décidément ! » fit l’individu d’une voix sifflante.

« - Un démon ! » laissa échapper Blanche en voyant le faciès de Nialgrim.

« - Semble-t-il que je vais pouvoir m’amuser, cette fois-ci » répliqua le démon en entendant la voix féminine de Blanche et décelant son visage aux traits fins sous la capuche de sa bure.
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Note : Même si "Bis repetita" est passé dans le langage courant, il n’en est pas de même avec le titre de ce chapitre ... et pourtant l’expression existe également.
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A suivre dans le chapitre 437 : Loin de la maison !